
Ce livre s’adresse à ceux qui savent, connaissent les philosophes et leurs théories, pour eux, la lecture se transforme en promenade de santé jouissive (je n’en fais pas partie car je suis nulle en philosophie), il y a aussi ceux qui veulent savoir (là, c’est moi !) et qui prendront le prétexte de combler leurs défaillances pour atteindre une capacité respiratoire digne, puis, il y a les moins résistants, les essoufflés, les paresseux, qui abandonneront au bout de deux tours de pistes et déclareront forfait car il y a beaucoup de références inconnues de ceux qui n'ont pas fait d'études littéraires.
Car lire Muriel Barbery, c'est un peu se lancer dans un sprint littéraire. Je m'explique. Il y a de très beaux paragraphes, de très belles tournures, des phrases sympathiques et originales, mais aucun repos de l'esprit. La course aux bons mots est une envolée tout au long du livre qui nous entraîne dans un curieux essor. J'avoue que je suis plus à l'aise lorsqu'il y a des vagues, une montée du spécial et une retombée de l'ordinaire. Avec Muriel, point de répit, nous sommes du début à la fin à marée haute, ce qui fait de son roman une œuvre pour érudits. Cependant, si, comme moi, vous êtes tenaces, et avez envie de connaître le réconfort après l'effort, poursuivez au delà des deux tiers du livre (page 261).
L'élégance du hérisson est le récit de deux journaux intimes, l'un tenu par Renée, la concierge cinquantenaire d'un immeuble cossu au 7 rue de Grenelle à Paris, le second par Paloma, une jeune fille de 12 ans (et demi) vivant dans le même immeuble, et qui a décidé de se suicider le jour de ses 13 ans ; à moins que, tout bien réfléchi, elle ne trouve d'ici là, un geste, un mouvement, qui soit digne de rester en vie. La jeune fille tient en fait deux journaux séparés : l'un sur l'âme qui expose ses réflexions en débutant par "Pensées profondes n° xx", l'autre sur le corps, qui présente ses observations sous les titres "Journal du mouvement du monde n° xx". Toutes deux vacillent dans leurs retranchements tout en décrivant leur vie, leurs observations et les liens avec leur entourage. Renée cache son penchant pour l'Art sous son habit de concierge abrutie et bougonnante. Paloma cache son intelligence rebelle en tentant d'échapper à sa famille, en refusant son destin.
Les deux protagonistes, les deux clandestines, se rencontrent au moment où entre dans leur vie respective, un homme inattendu, un nouveau propriétaire dans l'immeuble. M. Ozu est un japonais bien sous tous rapports qui va les révéler à elles-mêmes, tel un ange du destin. Apothéose délicate comme une fleur de lotus, ou plutôt un camélia (les initiés comprendront l'allusion).
Un livre qui m'a tiré des larmes à la fin, mais bon, je suis si sensible ! Mon problème ne fut pas de verser une larme, mais de l'avoir fait dans un lieu public, en l'occurrence le bus bondé de ce soir ; heureusement les gens sont bel et bien indifférents à ce qui se passe autour d'eux dans la vraie vie, de ce côté là, on est tranquille.
Attention spoiler
Addenda destiné à ceux qui ne pourront pas lire ce livre, ou qui désirent connaître la fin de l'histoire. Peu à peu, Paloma comprend que son suicide est incongru. Elle qui n'avait de goût à rien, se permet de croire qu'elle a un rôle à jouer dans le monde, un rôle à sa hauteur de petite fille sérieuse et désespérée. M. Ozu se rend compte qu'elle est ce qu'elle est et ce nouveau regard la rassure, la réconforte. Il ne lui parle pas comme à un bébé, mais comme à une personne digne de confiance et de compréhension.
Tous deux, complices, s'entendent pour prouver que Renée joue un rôle de composition. Ils ont compris que la concierge n'était pas aussi bête qu'elle s'efforce à le laisser croire. Renée aime les romans russes, au point d'avoir appelé son chat Léon en hommage à Tolstoï. Renée aime la grande musique, les peintres hollandais. Renée est prisonnière des apparences, il faut la sauver.
M. Kakuro Ozu, que tout l'immeuble tente d'approcher par curiosité, invite Renée, lui rend un peu de sa féminité. Elle, qui se sentait laide, va chez le coiffeur, porte une robe bien coupée, se maquille, au point que les dames de l'immeuble ne la reconnaissent pas lorsqu'elles croisent le couple Kakuro-Renée pimpante.
Renée revit, et en même temps, Paloma sort de sa coquille morbide, éclot dans son nouveau monde, un monde où le geste qu'elle cherche ailleurs est en fait en elle. Elle dit très joliment dans son journal :
Renée revit, elle se met même à croire à une amitié, la seule de sa vie :
Kakuro fait cette déclaration à Renée, ébahie et presque effrayée !
La fin du roman est un remake des chutes du Niagara. Renée, en voulant porter secours au SDF de la rue d'à côté, se fait renverser par une camionnette, un choc mortel, mais la mort ne vient pas de suite. Avant de partir, ses pensées se pressent devant elle, et elle passe en revue les moments phares dans la nuit qui approche. Elle parle à ses amis, les anciens comme les nouveaux.
Sa chère Manuela, la princesse femme de ménage :
Lucien, son mari bien aimé :
Kakuro, son dernier espoir :
Paloma, sa fille spirituelle :
C'est beau n'est-ce pas ?
Oui, c'est beau. Et pour Marie-Louise S (MarieL), les derniers paragraphes de ce livre qui est une ode à la vie :
Car lire Muriel Barbery, c'est un peu se lancer dans un sprint littéraire. Je m'explique. Il y a de très beaux paragraphes, de très belles tournures, des phrases sympathiques et originales, mais aucun repos de l'esprit. La course aux bons mots est une envolée tout au long du livre qui nous entraîne dans un curieux essor. J'avoue que je suis plus à l'aise lorsqu'il y a des vagues, une montée du spécial et une retombée de l'ordinaire. Avec Muriel, point de répit, nous sommes du début à la fin à marée haute, ce qui fait de son roman une œuvre pour érudits. Cependant, si, comme moi, vous êtes tenaces, et avez envie de connaître le réconfort après l'effort, poursuivez au delà des deux tiers du livre (page 261).
L'élégance du hérisson est le récit de deux journaux intimes, l'un tenu par Renée, la concierge cinquantenaire d'un immeuble cossu au 7 rue de Grenelle à Paris, le second par Paloma, une jeune fille de 12 ans (et demi) vivant dans le même immeuble, et qui a décidé de se suicider le jour de ses 13 ans ; à moins que, tout bien réfléchi, elle ne trouve d'ici là, un geste, un mouvement, qui soit digne de rester en vie. La jeune fille tient en fait deux journaux séparés : l'un sur l'âme qui expose ses réflexions en débutant par "Pensées profondes n° xx", l'autre sur le corps, qui présente ses observations sous les titres "Journal du mouvement du monde n° xx". Toutes deux vacillent dans leurs retranchements tout en décrivant leur vie, leurs observations et les liens avec leur entourage. Renée cache son penchant pour l'Art sous son habit de concierge abrutie et bougonnante. Paloma cache son intelligence rebelle en tentant d'échapper à sa famille, en refusant son destin.
Les deux protagonistes, les deux clandestines, se rencontrent au moment où entre dans leur vie respective, un homme inattendu, un nouveau propriétaire dans l'immeuble. M. Ozu est un japonais bien sous tous rapports qui va les révéler à elles-mêmes, tel un ange du destin. Apothéose délicate comme une fleur de lotus, ou plutôt un camélia (les initiés comprendront l'allusion).
Un livre qui m'a tiré des larmes à la fin, mais bon, je suis si sensible ! Mon problème ne fut pas de verser une larme, mais de l'avoir fait dans un lieu public, en l'occurrence le bus bondé de ce soir ; heureusement les gens sont bel et bien indifférents à ce qui se passe autour d'eux dans la vraie vie, de ce côté là, on est tranquille.
Tandis que, garante de ma clandestinité, la télévision de la loge beuglait sans que je l'entende des insanités pour cerveaux de praires, je me pâmais, les larmes aux yeux, devant les miracles de l'art.
Donc je chemine tranquillement vers la date du 16 juin et je n'ai pas peur. Juste quelques regrets peut-être. Mais le monde tel qu'il est n'est pas fait pour les princesses. Cela dit, ce n'est pas parce qu'on projette de mourir qu'on doit végéter comme un légume déjà pourri. C'est même tout le contraire.
Ces instants où se révèle à nous la trame de notre existence, par la force d'un rituel que nous reconduirons avec plus de plaisir encore que de l'avoir enfreint, sont des parenthèses magiques qui mettent le cœur au bord de l'âme, parce que, fugitivement mais intensément, un peu d'éternité est soudain venu féconder le temps.
Mme Michel, elle a l'élégance du hérisson : à l'extérieur, elle est bardée de piquants, une vraie forteresse, mais j'ai l'intuition qu'à l'intérieur, elle est aussi simplement aussi raffinée que les hérissons, qui sont de petites bêtes faussement indolentes, farouchement solitaires et terriblement élégantes.
Attention spoiler
Addenda destiné à ceux qui ne pourront pas lire ce livre, ou qui désirent connaître la fin de l'histoire. Peu à peu, Paloma comprend que son suicide est incongru. Elle qui n'avait de goût à rien, se permet de croire qu'elle a un rôle à jouer dans le monde, un rôle à sa hauteur de petite fille sérieuse et désespérée. M. Ozu se rend compte qu'elle est ce qu'elle est et ce nouveau regard la rassure, la réconforte. Il ne lui parle pas comme à un bébé, mais comme à une personne digne de confiance et de compréhension.
Tous deux, complices, s'entendent pour prouver que Renée joue un rôle de composition. Ils ont compris que la concierge n'était pas aussi bête qu'elle s'efforce à le laisser croire. Renée aime les romans russes, au point d'avoir appelé son chat Léon en hommage à Tolstoï. Renée aime la grande musique, les peintres hollandais. Renée est prisonnière des apparences, il faut la sauver.
M. Kakuro Ozu, que tout l'immeuble tente d'approcher par curiosité, invite Renée, lui rend un peu de sa féminité. Elle, qui se sentait laide, va chez le coiffeur, porte une robe bien coupée, se maquille, au point que les dames de l'immeuble ne la reconnaissent pas lorsqu'elles croisent le couple Kakuro-Renée pimpante.
Renée revit, et en même temps, Paloma sort de sa coquille morbide, éclot dans son nouveau monde, un monde où le geste qu'elle cherche ailleurs est en fait en elle. Elle dit très joliment dans son journal :
C'est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent.
Renée revit, elle se met même à croire à une amitié, la seule de sa vie :
...nous pouvons être amis. Et même tout ce que nous voulons.
Kakuro fait cette déclaration à Renée, ébahie et presque effrayée !
La fin du roman est un remake des chutes du Niagara. Renée, en voulant porter secours au SDF de la rue d'à côté, se fait renverser par une camionnette, un choc mortel, mais la mort ne vient pas de suite. Avant de partir, ses pensées se pressent devant elle, et elle passe en revue les moments phares dans la nuit qui approche. Elle parle à ses amis, les anciens comme les nouveaux.
Sa chère Manuela, la princesse femme de ménage :
Manuela mon amie.
Au seuil de la mort je te tutoie enfin.
Lucien, son mari bien aimé :
J'éprouve aujourd'hui un curieux sentiment, celui de te trahir ; mourir, c'est comme te tuer vraiment. Il ne suffit donc pas à l'épreuve que nous sentions les autres s'éloigner ; il faut encore mettre à mort ceux qui ne subsistent plus que par nous.
Kakuro, son dernier espoir :
Ce n'est que fugitivement que je pense à vous aujourd'hui ; quelques semaines ne donnent pas la clef ; je ne vous connais guère au-delà de ce que vous fûtes pour moi : un bienfaiteur céleste, un baume miraculeux, contre les incertitudes du destin.
Paloma, sa fille spirituelle :
Paloma, ma fille. Je n'ai pas eu d'enfant, parce que cela ne s'est pas fait. En ai-je souffert ? Non. Mais si j'avais eu une fille, ç'aurait été toi. Et, de toutes mes forces, je lance une supplique pour que ta vie soit à la hauteur de ce que tu promets.
C'est beau n'est-ce pas ?
Oui, c'est beau. Et pour Marie-Louise S (MarieL), les derniers paragraphes de ce livre qui est une ode à la vie :
Toujours est-il que nous sommes descendus à la loge, avec Kakuro. Mais en traversant la cour, on s'est arrêtés net tous les deux en même temps : quelqu'un s'était mis au piano et on entendait très bien ce que quelqu'un jouait. C'était du Satie, je crois, enfin, je ne suis pas sûre (mais en tout cas c'était du classique).
Je n'ai pas réellement de pensée profonde sur le sujet. D'ailleurs, comment avoir une pensée profonde quand une âme soeur repose dans un frigidaire d'hôpital ? Mais je sais qu'on s'est arrêtés net tous les deux et qu'on a respiré profondément en laissant le soleil réchauffer notre visage et en écoutant la musique qui venait de là-haut. "Je pense que Renée aurait aimé ce moment", a dit Kakuro. Et on est resté là quelques minutes, à écouter la musique. J'étais d'accord avec lui. Mais pourquoi ?
En pensant à ça, ce soir, le coeur et l'estomac en marmelade, je me dis que finalement, c'est peut-être ça la vie : beaucoup de désespoir mais aussi quelques moments de beauté où le temps n'est plus le même. C'est comme si les notes de musique faisaient un genre de parenthèses dans le temps, de suspension, un ailleurs ici même, un toujours dans le jamais.
N'ayez crainte, Renée, je ne me suiciderai pas et je ne brûlerai rien du tout.
Car pour vous, je traquerai désormais les toujours dans le jamais.
La beauté dans ce monde.