12 décembre 2007

Dans le scriptorium - Paul AUSTER

"Travels in the Scriptorium" (voyages dans le scriptorium)
Traduction par Christine Le Bœuf
137 pages

Le sujet
Mr Blank est un vieil homme qui se retrouve dans une chambre cellulaire, sans se souvenir pourquoi il est là, mais pressentant une punition. Dans la chambre, outre le lit, il y a un bureau et sur celui-ci des papiers et des photos. Blank ne reste pas seul dans cette chambre imprévue, imprévisible et inexplicable (portes de placards dérobées, étiquettes scotchées sur les objets comme une légende sur un dessin) car il y reçoit des visites mais ne reconnaît aucun de ses visiteurs. Parfois, un des noms lui semble familier, mais sans plus de précision. Mr Blank est mal à l'aise, il ne sait s'il peut sortir de la chambre : il a tenté d'ouvrir la fenêtre sans succès et n'ose pas tenter d'ouvrir la porte. Il s'occupe à lire des feuillets qui semblent être ceux d'une histoire, mais celle-ci est inachevée. Arrive un personnage qui lui demande d'inventer la suite. D'abord réticent, Mr Blank se lance sur une piste, puis désappointé, décide de modifier le récit et change la fin. Il semble satisfait. C'est alors qu'un ultime (?) personnage lui rend visite, il s'agit de son avocat, celui-ci est très inquiet. En effet, nous apprenons que les plaintes déposées contre Mr Blank sont exceptionnellement chargées et que certains plaignants désirent sa mort mais pas seulement : ils veulent son supplice et le jeter en pâture. Mais qu'a fait Blank pour mériter ce sort ? Nous le comprenons à la fin du récit, à partir du moment où l'avocat fait son entrée. Blank est un raconteur, un faiseur d'histoires.



Magritte
Un être qui a basculé dans une nouvelle dimension, un nouvel univers en expansion vers les confins du pouvoir, celui des hommes et celui du temps. Blank n'a plus le même corps et peut-être aussi, n'a-t'il plus la même âme. Il existe maintenant dans une autre réalité où ses personnages le visitent comme d'anciens amis fantômatiques, indulgents du sort que Blank leur a réservé ou animés d'une vengeance morbide. Dans cette réalité là, ce sont les personnages qui vivent et pensent par eux-mêmes, qui vont et viennent libres, à l'inverse de l'auteur qui n'est plus le créateur tout puissant mais qui devient le condamné esclave et démuni de tout, y compris de sa mémoire, sa conscience, sa capacité à décider, sa force d'agir. Blank est faible, il n'arrive plus à rien, ou presque, et tout l'étonne et le surprend. Il est comme un petit enfant ; ce sont d'ailleurs des souvenirs d'enfants qui lui reviennent parfois, comme l'image du cheval à bascule. A la fin, lorsque Blank comprend qu'il est enfermé dans sa propre fiction, qu'il est devenu un personnage (le dernier), comme s'il se regardait dans le miroir de Magritte et qui ne reflète rien d'autre que ce que verrait quelqu'un qui observerait l'observateur.
RELATIVITE.
Blank envoie tout balader : les feuilles du nouveau récit qu'il s'est mis à lire, le récit que nous tenons entre les mains, "voltigent en l'air". Il est vaincu. Nous sommes presques peinés.

Le verbe
Mr. Blank s’installe avec lenteur dans le siège placé devant le bureau. C’est un siège d’un confort extrême, constate-t-il, garni d’un souple cuir brun et doté de larges accoudoirs où peuvent reposer ses coudes et ses avant-bras, sans parler du mécanisme à ressort invisible qui lui permet de se balancer à sa guise d’avant en arrière, ce qu’il commence d’ailleurs à faire dès l’instant où il est assis. Un tel balancement a sur lui un effet apaisant et, tandis qu’il continue à se laisser aller à ces agréables oscillations, Mr. Blank se souvient du cheval à bascule qui se trouvait dans sa chambre de petit garçon, et il se met alors à revivre certains des voyages imaginaires qu’il entreprenait sur ce cheval, qui s’appelait Whitey et qui, dans l’esprit du jeune Mr. Blank, n’était pas un objet en bois orné de peinture blanche mais un être vivant, un vrai cheval.
Mon complément
Tout d'abord, je dois dire que ce très court roman peut se lire en une journée facile (137 pages de lecture). Ensuite, qu'il fait référence à des personnages apparus dans d'autres romans de l'auteur. Cela dit, il n'est pas absolument nécessaire de les avoir tous lus, seulement de savoir qu'il y a un jeu de cache-cache auquel s'adonne Paul Auster. Jeu ? Ou nécessité de dérouler avec une sorte de précision chirurgicale les affres et les douleurs de la création, de l'écriture, sa puissance, sa fragilité et ses démons. C'est une histoire à la limite du fantastique, une sorte "d'arroseur arrosé", vraiment c'est l'image simple qui me vient à l'idée et qui me persuade de cela : celui qui écrit met de sa vie dans son récit, et même dans ses personnages, une sorte d'exorcisme ténu à la lisière de la conscience bien sûr. Les personnages ne survivent à leur histoire que si quelqu'un pensent à eux. Et qui les connaît le mieux si ce n'est leur créateur ? A moins qu'ils ne réussissent à passer, à "voyager" dans une nouvelle fiction... Magique ! Auster achève ce roman comme une sorte de testament. Il se met dans la peau d'un réaliseur qui explique un script de cinéma. Il parle des photos déclenchées régulièrement : "une fois par seconde", et il y a un fil invisible. Le fil qui anime la marionnette que nous sommes et qui nous relie à quelqu'un de plus "grand", et de ce fait, ce quelqu'un, il nous est impossible de l'imaginer, de l'expliquer et de le comprendre.

Lien externe
  • Chez Holly G.
    Vous y trouverez notamment la liste des personnages que je nomme "voyageurs" cités et l'ouvrage de référence pour les non initiés (dont je fais partie)

08 décembre 2007

Traqués - Ian RANKIN

Titre original : Blood Hunt (1995)
traduit en 2007
431 pages

Le sujet
Jim Reeve, un journaliste écossais sur la piste d'une énorme affaire de pollution au PrP (protéine du prion) via des pesticides fabriqués par la CWC (Co-World Chemicals) est retrouvé dans une voiture fermée à clef de l'intérieur à San Diego. Il s'est apparemment fait sauter la cervelle. Son frère, Gordon, fait le voyage pour rapatrier le corps. Très vite, il a l'intuition que son frère ne s'est pas suicidé, c'est que notre Gordon n'est pas un lapin de 6 semaines : c'est un ancien agent du SAS (Special Air Service) à présent retraité et organisateur de stages de survie le week end pour cadres en mal de sensations. Bien sûr, les ordonnateurs du meurtre de Jim l'ignoraient, et se retrouvent en quelque sorte, du "beau" gibier, CWC désire garder certaines expériences secrètes, des scientifiques témoins de méthodes redoutables doivent se taire, si possible à jamais. La CIA ferme les yeux ; la police est contaminée par l'appât de l'argent. Reeve doit compter sur lui même s'il veut survivre dans cette nouvelle jungle. Kosigin qui travaille pour la CWC, semble être le manipulateur de cette sombre affaire et pour se débarrasser du frère parti sur le sentier de la guerre, il fait appel à Jay, lui aussi ancien militaire du SAS, que Gordon reconnaît alors qu'il le croyait mort au cours de leur dernière mission durant la guerre des Malouines. Bientôt, la traque s'engage entre les deux hommes férocement déterminés à en découdre. La chasse se déroule entre les Etat-Unis, la France, l'Angleterre et enfin l'Ecosse. Gordon va recourir à toute sa panoplie d'agent d'infiltration pour parvenir à venger son frère, se disculper des morts semées sur sa route et faire tomber la multinationale empoisonneuse mondiale. Mission accomplie.

Le verbe
...Allerdyce cavale comme s'il avait un cactus dans le cul alors que tous les proctologues sont à Hawaï. Il sait qu'il lui est arrivé un truc, la nuit dernière, mais il ne sait pas quoi.
Mon complément
C'est mon fidèle ami Didier qui m'a incité à découvrir cet auteur écossais né en 1960 et "père" de l'inspecteur Rebus. Ian Rankin donne corps à un homme animé de sentiments contrastés : un homme appelé "le philosophe" par ses camarades parce qu'il lit Nietzsche, un homme révolté qui se dit "anarchiste". Cet homme, nous le suivons pas à pas, haletant avec lui, sombrant avec lui dans un cauchemar de sang. Courses poursuites, rencontres parfois amicales et utiles, parfois vénémeuses qui l'obligent à se transformer en prédateur pour sauver sa peau. Un homme prêt à tout pour faire jaillir la vérité. Un très bon polar plus orienté sur la "traque" que sur le sujet de la "pollution", mais qui donne tout de même des pistes sur les dangers de la grande production agroalimentaire. Nous n'en avons jamais douté. En plus, Ian Rankin a un style qui me plaît bien ! Celui de l'humour désenchanté.

05 décembre 2007

Au coeur du temps (ABC, 1966)

série américaine de 30 épisodes de 50 mn, créée par Irwin Allen (1ère diffusion en France en 1967)
The time tunnel
"the infinite corridors of time"

Je continue mon petit tour dans le temps, Val, je suis certaine que cela va te rappeler de bons souvenirs : les votes dans l'émission "samedi est à vous".

L'histoire.
Deux chercheurs, Tony Newman (James Darren) et Doug Phillips (Robert Colbert), ont inventé une machine à remonter le temps : le chronogyre.

Lors du premier voyage, ils vont en être prisonniers, condamnés à effectuer des sauts dans le temps, passé ou futur, mais incapables de retourner dans leur époque. Leur collègues tentent de les faire revenir, sans succès. La seule fois où les scientifiques parviendront à regagner leur époque, la vie est figée et ils décident de repartir vers leur hasard. J'ai adoré cette série ! C'est certainement elle, ainsi que COSMOS 99, plus connue, qui m'a décidée vers un métier scientifique. Je me voyais bien fabriquer de telles machines. Avec mon ordinateur portable, je suis presque arrivée à voyager moi aussi dans le temps !

Récemment, une série que je dirai "dérivée", a repris le thème. Il s'agit de "SLIDERS". Eux, ils étaient 4 et avaient une télécommande et le vortex du temps se matérialisait à l'heure indiquée par leur zappeur. Mais j'avoue avoir beaucoup moins aimé, alors que les effets spéciaux étaient bien plus sophistiqués.

02 décembre 2007

Orgueil et préjugés - Jane AUSTEN


titre original : Pride and Prejudice
Traduction par V.Leconte et Ch.Pressoir
J'ai reçu ce livre dans le swap "littérature et thé" de la part de Lou et je me félicite encore d'avoir eu envie de relire Jane Austen.

Le sujet
Elizabeth Bennet, l'héroïne, rencontre Fitzwilliam Darcy, un homme dont la condition est supérieure à la sienne, ce qui déjà, la freine dans ses élans, nous pouvons la comprendre. C'est que nous sommes en Angleterre, à la fin du XVIII ème siècle, et que les us et coutumes voulaient que les mariages se fissent sans mésalliance. Pour comble, Darcy lui apparaît comme un être imbu de sa condition et dédaigneux de celle des autres qui lui sont inférieurs. Ce qu'elle voit est corroboré par quelques récits glanés ici et là qu'elle préfère croire, d'autant qu'elle a entendu ce qu'il disait d'elle lors du premier bal qui les voit ensemble :
Mr Darcy se retourna et considéra un instant Elizabeth. Rencontrant son regard, il détourna le sien et déclara froidement :
- elle est passable, mais pas assez jolie pour me décider à l'inviter. Du reste, je ne me sens pas en humeur, ce soir, de m'occuper des demoiselles qui font tapisserie.
Avouez que ce genre de provocation n'est pas pour renforcer l'affection (rires). Bon, leur histoire, débute mal, mais nous n'en sommes qu'au commencement. Plusieurs personnages gravitent autour d'eux, les soeurs d'Elizabeth, les parents, les amis. Sans dévoiler tout, ce qui serait une gageure, je vais me contenter de focaliser sur nos deux tourtereaux. Elizabeth se promet donc de détester ce Darcy qui la snobe, tout en se réservant la grâce de l'impertinence ; il faut avouer que le roman est truffé de bons mots opportuns, le sens de répartie d'Elizabeth égale certainement la colère qui l'anime. Car Darcy est toujours sur son chemin. Leurs rencontres auront raison d'un premier préjugé. Darcy craque et débarque devant Elizabeth pour lui déclarer sa flamme. Abasourdie, celle qui imagine que Darcy est responsable de l'éloignement de l'amoureux de sa soeur, et qui croit qu'il est coupable d'avoir spolié Wickham, le protégé de Mr Darcy père, le repousse avec tout l'abnégation mortifiante dont elle est capable.
Après un silence de plusieurs minutes, il s'avança vers elle et, d'un air agité, débuta ainsi :
- En vain ai-je lutté. Rien n'y fait. Je ne puis réprimer mes sentiments. Laissez-moi vous dire l'ardeur avec laquelle je vous admire et vous aime.
Mesdames, en admettant que vous aimiez ce type, l'auriez-vous repoussé ? Elizabeth le fait, c'est bien plus fort qu'elle. Elle est trop ancrée dans sa certitude d'avoir affaire à un pédant qu'elle ne peut s'y soumettre, et je la comprends. Les apparences sont parfois tellement trompeuses, et Elizabeth est trop entière, se refusant à l'idée de se marier par convenance ou à un homme qui la méprise, ou en tout cas, qui méprise ses origines. Cela en est trop. Les deux amoureux en restent là pour un temps. Darcy ne tarde pas à lui révéler dans une longue lettre les différentes vérités qu'elle ignorait : Wickham, le joueur impudent, a autrefois tenté d'enlever sa jeune soeur en lui promettant un mariage qu'il ne comptait nullement faire. Et il admet avoir tout fait pour éloigner Jane, la grande soeur d'Elizabeth, de Mr Bingley, son grand ami, estimant que Jane ne l'aimait pas assez. Nous y voilà. Peu à peu, Elizabeth va finir par ouvrir les yeux en même temps que son coeur et sa foi. Sa foi en elle. Peu à peu, s'insinue en elle l'idée que Darcy n'est pas, n'est plus, l'homme qu'elle imagine. Mais comment faire pour retrouver grâce aux yeux de Darcy, si toutefois il est encore temps ? Mieux vaut tenter d'oublier cette malheureuse rencontre. Mais c'est impossible, ces deux là se retrouvent encore et encore. Au cours d'une promenade, Darcy et Elizabeth se font face. Elle en profite pour le remercier de s'être occupé de sa plus jeune soeur, enfuie avec le vil Wickham, et que Darcy a obligé aux épousailles, en y ajoutant une belle dot afin d'obliger le jeune fourbe fougeux de s'en accommoder. Il lui affirme qu'il n'a agit ainsi que pour elle, et elle seule.
...votre famille ne me doit rien. Avec tout le repect que j'ai pour elle, je crois avoir songé uniquement à vous... Vous êtes trop généreuse pour vous jouer de mes sentiments. Si les vôtres sont les mêmes qu'au printemps dernier, dites-le-moi tout de suite. Les miens n'ont pas varié, non plus que le rêve que j'avais formulé alors. Mais un mot de vous suffira pour m'imposer le silence à jamais.
Pas mal hein ? Là, Elizabeth est à bout de souffle, elle dit "oui", et nous avec. Les deux amoureux s'avouent l'un à l'autre leur intolérance, leur maladresse, leurs sentiments boursouflés d'orgueil et de préjugés. Evidemment.

Mon complément
Tout d'abord, je tiens à faire remarquer que, bien qu'il s'agisse d'une histoire d'amour (hum, plusieurs histoires d'amour en réalité), ce roman n'a rien a voir avec ce que vous pouvez imaginer de ce genre de livre, le roman d'amour n'est pas du tout ma tasse de thé. Ce livre relate une ambiance, une époque et ses us et coutumes : les distractions, les convenances. Les parents qui désirent le mariage pour leurs filles, d'autant que celles-ci n'hériteront pas de leur père. Elizabeth est une rebelle à tout cela, elle se moque du "qu'en dira-t-on" et désire plus que tout accomplir son propre bonheur, du moins celui qu'elle s'autorise. Elle est lucide aussi et s'effraye de voir son amie Charlotte accepter le mariage qu'elle a elle-même refusé : épouser un clergyman, son lointain cousin, idiot et lamentablement servile. Impossible pour elle d'imaginer son amie s'unir à ce dévot. Impossible pour elle de se plier à ce genre de marchandages. Son coeur est plus fort que sa raison, assurément. Le rire est de mise dans ce livre, les situations sont cocasses et bien tournées, les relations et dialogues sont savoureux, le plus souvent. Il faut visualiser le père, en proie à sa femme, véritable harpie qui n'hésite pas à jeter ses filles dans les bras d'un beau parti de passage, il faut visualiser les regards échangés entre lui et Elizabeth, nous les imaginons très complices. Pas de longueur, aucun renvoi en bas de page, normal, il s'agit d'un roman "d'époque" et l'auteure romançait son quotidien, ou celui qu'elle aurait pu avoir. La fiction, c'est aussi cela : mettre du rêve dans l'existence.

Je terminerai par l'aveu suivant : à la fin de ma lecture (pas immédiatement quand même, mais le lendemain), je me suis précipitée sur internet pour voir quelques extraits du dernier film sorti en 2005 (de Joe Wright avec Keira Knightley dans le rôle d'Elizabeth et Matthew MacFadyen dans celui de Darcy, tous deux très convaincants, elle, certainement plus belle que ne le laisse supposer le livre). Nous sommes sous le charme de cette adaptation assez fidèle ma foi, sauf pour certains détails et personnages du roman qui n'apparaissent pas dans le film. Film aux superbes images, et qui met en scène l'atmosphère des bals, les danses de cette époque, les repas, les révérences etc... J'adooooooooooooooooore les costumes !

26 novembre 2007

Chambre noire (camera obscura)

Yvoux est un endroit et une période tous deux inoubliables. J'y fis mon premier séjour entre 4 et 5 ans, mes parents venaient m'y trouver les fins de semaines, certainement, s'ils le disent. Mais je ne m'en souviens pas. En revanche, je me revois dans la salle de classe, je me souviens de ses odeurs, des verres de grenadine à l'eau de source coulant sous le préau. Je me souviens aussi de ma solitude.

Je me sentais seule, mais les souvenirs de cette époque sont tout de même plutôt joyeux. Je le disais ce week-end à ma soeur. C'est étrange. J'étais du genre petite sauvage, pitoyablement timide, sans doute effrontément désobéissante. Après ce premier séjour, j'y suis retournée plusieurs années de suite, pendant les vacances, comme quoi je n'en fus pas traumatisée. Je crois que j'aimais au contraire ma liberté campagnarde. Je pouvais jouer à l'exploratrice. Avec ma copine Isabelle S., qui vivait chez sa grand mère juste en face, et Anne G., nous avions même créé notre "colonie" de vacances.

Yvoux, c'est bien entendu, le chemin de Cornimont et tout au bout de ce chemin infini, juste à l'orée du bois, il y avait, j'en étais persuadée, la maison de la sorcière. Je voulais y croire. Je la craignais tout en voulant la voir. Je me racontais des histoires et je hurlais à perdre haleine en imaginant qu'elle me poursuivait lorsque je rentrais toute échevelée à l'heure de manger mon goûter de tartines et de boire mon verre de lait.

Je me souviens des dimanche à la messe à La Chapelle (il ne faut pas l'inventer !), les femmes d'un côté, les hommes de l'autre, les dos noirs et les chants en latin, effrayants. Et cette odeur d'encens pesante. Mais j'ai aussi de jolis souvenirs qui sentent la terre et les blés fanés. Même si les soirs, je comptais les voitures qui traversaient le village avant de m'endormir, en priant que mes parents passent me voir le lendemain. Je pleurais en me disant que peut-être, ils m'avaient abandonnée, que je ne les reverrai plus jamais, eux et ma petite soeur. J'en ris à présent c'est sûr, pourtant ce sont des moments que j'ai vécu avec une incroyable acuité.

Elisabeth, la soeur ainé d'Anne, faisait de la photographie. Un jour, elle m'emmena avec elle dans la chambre noire, en me disant qu'il fallait faire très attention ! J'étais très impatiente d'assister à la chose. Les bacs de révélateurs, les fils suspendus, les papiers trempés accrochés. Mystique chimique. Passionnant devant mes yeux d'enfant de 8-9 ans.

Je suis revenue à Yvoux il y a peu de temps. J'ai revu Anne qui y élève des poissons avec son mari. Elle a grandit la petite fille que je tenais par la main en lui chantant

Nous aimons vivre au fond des bois
aller coucher sur la dure
La forêt nous dit de ses mille voix
Lance toi dans la grande aventure...
Revoir mon passé me donne une sorte d'élan, une claque dans le dos qui ne me déplait pas et qui me pousse vers l'avant. C'est comme de regarder dans la chambre noire. Je me penche un peu. Et j'entrevois une espèce de révélation sur moi même.

12 novembre 2007

Cahiers de la guerre - Marguerite DURAS


Ce livre n'est donc pas un roman : il s'agit de la compilation arrangée de ses cahiers manuscrits, contenant certains récits et ébauches de ses futurs romans. Ce livre est un trésor. Pour moi, pour tous ceux qui aiment Duras, car faut-il le dire, un écrivain n'est pas une machine à éditer, il y a, il doit y avoir derrière les mots, une vie, une pensée, un désir.
Ceux qui n’ont pas d’enfant et qui parlent de la mort me font rigoler. Comme les puceaux qui imaginent l’amour, comme les curés. Ils ont de la mort une expérience imaginaire. Ils s’imaginent frappés par la mort, vivants, alors que morts, ils ne pourront pas jouir de cette mort. Alors que devant un enfant, cette idée se vit chaque jour et que si ça arrive, c’est vivant que vous jouissez de votre mort, vous êtes un mort vivant. (p.262)
Marguerite Duras écrit avec une élégance qui me passe à travers les yeux, une force poignante. Il y a le passage très émouvant sur l'attente de son mari Robert, détenu en camp de concentration.
Puis la lutte a commencé. Avec la mort. Il fallait y aller doux avec elle, avec délicatesse, tact, doigté. Elle le cernait de tous les côtés, mais, tout de même, il y avait encore moyen de l'atteindre lui, mais la vie était quand même en lui, à peine une écharde...(p.284)
Il y a sa jeunesse battue. Sa révolte contre tout. Surtout Dieu.
Je voudrais conserver intact l’éclat de l’Evènement qu’était pour moi mon frère ainé. Il était injuste et lâche comme l’est le sort et toute destinée. Sa férocité à mon égard avait quelque chose d’accompli, et au fond de pur. Sa vie se déroulait avec l’implacabilité d’une fatalité et il nous en imposait. Le tissu de coups et d’injures qu’il m’a donné est le tissu même dont son âme était faite, il n’y a pas de marge. (p.72)
Quoiqu'elle puisse écrire, je suis dans l'hypnose de sa présence, de sa voix. Je l'écoute, elle est forte, elle s'affaisse, elle murmure, elle faiblit, elle meurt avec sa désillusion, elle s'empoisonne d'angoisse dans la vision de son mari mort dans un chemin, dans un trou, la face dans la terre. Tout résonne en moi et tangue dans mes yeux mouillés. Mouchoir furtif dans le train, personne n'a rien vu, mais je voudrais me lever et dire "lisez ce livre" !

04 novembre 2007

Les reliques de la mort - J.K.ROWLING

Préambule
Ce livre est le septième et dernier des aventures de Harry Potter, le jeune orphelin qui, le jour de ses 11 ans, apprend qu'il est un sorcier. Chaque tome de cette saga que j'adore raconte une année du héros qui a une particularité : à l'âge d'un an, il a survécu au sort mortel de l'Avada Kedavra que lui a lancé un terrible mage noir, Voldemort, également appelé "celui dont on ne doit pas prononcer le nom". Harry a hérité d'une cicatrice sur son front, et Voldemort s'est volatilisé. Mais il n'est pas mort, il a survécu grâce à ses horcruxes : des objets magiques dans lesquels il a transmuté un morceau de son âme pour s'assurer une sorte d'immortalité au cas où son corps serait détruit. Ce qui arriva.

Le sujet
Nous retrouvons Harry à l'aube de ses 17 ans, l'âge de la majorité chez les sorciers. Secondé de ses deux fidèles amis : Ron et Hermione, il décide de partir sur les traces des horcruxes au lieu d'intégrer leur dernière année à Poudlard. Dumbledore (mort dans le précédent tome) lui a confié une mission : retrouver tous les horcruxes de Voldemort et les détruire afin que Voldemort disparaisse une bonne fois pour toutes.
Il avait cru qu'il serait enchanté d'avoir récupéré l'Horcruxe mais, d'une certaine manière, ce n'était pas le cas. Tout ce qu'il éprouvait, assis dans l'obscurité dont sa baguette n'éclairait qu'une minuscule partie, c'était l'appréhension de ce qui allait se passer par la suite.
Harry part à la recherche des hoxcruces :
  1. le journal intime de Tom Jedusor (détruit dans le 2ème tome : "la chambre des secrets")

  2. la bague de Gaunt (détruite par Dumbledore dans le 6ème tome "le prince de sang-mêlé")

  3. le médaillon de Serpentard

  4. la coupe de Poufsouffle

  5. la couronne de Serdaigle

  6. Nagini le serpent qui accompagne Voldemort et enfin...

  7. Harry Potter.

Vous vous en doutez, Harry devra affronter la peur de mourir afin d'anéantir Voldemort.

Tu es le vrai maître de la mort parce que, la mort, le vrai maître ne cherche pas à la fuir. Il accepte le fait qu'il doit mourir et comprend qu'il y a dans la monde des vivants des choses pires, bien pires, que la mort.
Et les reliques ? Que sont-elles ? Ce sont 3 objets, eux aussi magiques, et qui ont le pouvoir de vaincre la mort. Mais ce ne sont pas des objets maléfiques : il y a la cape d'invisibilité (celle de Harry), la baguette de sureau (celle de Dumbledore) et la pierre de Résurrection (qui se trouvait dans la bague de Gaunt). Mais la possession de ces reliques ne rend pas forcément heureux, Dumbledore en fut le dernier convaincu.

Mon complément
Ce dernier tome est un véritable hymne à la vie, un véritable guide de passage dans le monde des adultes. C'est l'heure des choix sous peine de mort, rien de moins. On y trouve des thèmes très forts : l'épuration : les mangemorts décident de recenser tous les moldus (ceux qui n'ont pas des pouvoirs magiques), ainsi que les sorciers issus de parents moldus.), et la résistance : les amis de Harry risposent en émettant à travers une radio-pirate la "Potterveille", les dernières nouvelles pour redonner le moral. Il a aussi (et surtout !) l'amitié, envers et contre tout, l'amour, la fidélité, pas seulement aux êtres mais aussi à des idées. Il y a également la disparition. Oui, dans ce livre, il y a des morts à foison, parmi les élèves de Poudlard, les mangemorts ou les elfes de maison (j'ai pleuré à la mort de Dobby !) mais il s'agit pour moi d'une histoire d'initiation. Lorsque Harry comprend qu'il doit laisser Voldemort le tuer pour anéantir le dernier horcruxe, il a peur, mais il affronte celle-ci, conscient de se sacrifier "pour la cause de tous". Dans le no man's land où il se retrouve après sa mort (Harry ne meurt pas lui non plu car Voldemort a pris du sang de Harry dans ses veines !), Harry retrouve Dumbledore, celui-ci lui révèle ce qu'il n'avait pas encore compris (et nous en profitons !).
N'aie pas pitié des morts, Harry. Aie plutôt pitié des vivants et surtout de ceux qui vivent sans amour. En y retournant, tu pourras faire en sorte qu'il y ait moins d'âmes mutilées, moins de familles déchirées. Si cela en vaut la peine à tes yeux, alors, disons-nous au revoir pour l'instant.
---Spoiler---
Le final, c'est vrai, est moins grandiose que ne le laisserait supposer l'hécatombe du livre. Enfin, Harry se retrouve -encore- face à Voldemort, tous deux vont s'affronter sans leurs baguettes jumelles à la plume de phénix. Et cette fois encore, Voldemort va lancer son "Avada Kedavra" contre Harry qui se contente d'un simple mais efficace "expeliarmus" (sortilège de désarmement comme son nom l'indique). Cette fois encore, le sort se retourne contre Voldemort qui est définitivement anéanti. "Tout est bien qui finit bien", Harry se marie avec Ginny la soeur de Ron, qui lui épouse Hermione. Ils vivent heureux -autant qu'on puisse l'être après avoir subit autant d'épreuves jeunes, et ils ont beaucoup d'enfants ! Je ne suis pas déçue, pas du tout. Il faut se dire que nous sommes dans une saga pour petits et grands et que cette histoire m'aura portée et transportée avec beaucoup de passion, je suis vraiment accro à Harry, le personnage que j'ai adopté dans ma grande famille.

23 octobre 2007

Petit déjeuner chez Tiffany - Truman CAPOTE


Ce ne sont que quelques pages (113) mais elles sont hantées. A chaque ligne glisse devant moi une ombre furtive que je ne crains pas et que j'épie ; l'ombre d'une amie particulière qui vit au plus près du paradis. Tout comme cette Holly Golightly qui vit sur une sorte de nuage, tantôt blanc et poudreux, devant lequel les lunettes de soleil sont indispensables, tantôt sombre et haïssable et là encore les lunettes sont de mises pour cacher la disgrâce.

Petit déjeuner chez Tiffany
est assez semblable au film Diamants sur canapés" qui en fut adapté, à quelques nuances près. Holly est une pauvre fille échappée à une enfance meurtrie, un mariage à 14 ans, une vie rurale qui ne pouvait satisfaire ses rêves de diamants. Holly est toujours sur la ligne de départ, assurée, décidée. Un départ vers un autre ailleurs. Comme le mentionne sa carte de visite, Holly est une "voyageuse de commerce". Pour tout dire, c'est une call girl. Son voisin, le narrateur, la rencontre alors qu'il est au début de sa carrière d'auteur. Il se souvient d'elle alors qu'elle s'invite dans son souvenir sous une forme impromptue : un de leur ancien voisin a fait un cliché invraisemblable : un africain aurait sculpté le visage de Holly. Aucun doute, c'est bien elle. A la vue des photos, il se souvient de leur rencontre. L'insensée Holly toujours sur le départ, en partance vers une vie qui sera enfin la sienne, telle qu'elle la désire, au mieux, à l'instar de ce petit déjeuner chez Tiffany qui la met de belle humeur. Holly qui vivait de se vendre à qui la voulait, vendre sa présence, et plus si affinités, sans autre forme de procès d'intention, car Holly est pure, elle ne veut que profiter de la vie et échapper à n'importe quel destin qui la soumettrait à une existence morne. Ayant approché la mafia et sous le coup d'une enquête, elle décide de prendre la fuite, de quitter le pays. C'est ainsi que le narrateur perdra sa trace, mais pas son souvenir.
Des feuilles flottaient sur le lac. Sur la rive, un gardien du parc éventait un feu qu'il avait fait, et la fumée, montant comme des signaux indiens, étaient la seule tache dans l'air frémissant. Les avrils ne m'ont jamais dit grand-chose. Les automnes me semblent la vraie saison des commencements, les vrais printemps.
Trois nouvelles suivent, délicates ou glauques, voire macabres. Un genre de chaud-froid à la Capote.

La maison de fleurs
"La maison de fleurs" met en scène Ottilie, une fille perdue, échappée à une rude vie dans la montagne d'Haïti et à ses frères incestueux et qui atterrit dans une maison close. Elle en devient la coqueluche. Un jour, un homme vient. Amoureux, amoureuse, elle le suit, se marie et s'installe dans une autre montagne. Une vieille femme y règne, la grand-mère. Elle la terrorise, l'humilie de toutes façons. Ottilie décide de ne pas se laisser faire ; elle lui prépare des repas avec les bestioles qui étaient sensées la faire craquer. Quand elle comprend la ruse, la vieille en fait une attaque et meurt. Maintenant Ottilie a des visions, elle voit un oeil dans la nuit, elle croit que la vieille revient se venger et elle avoue à son mari qui commence à prendre le large, à la délaisser pour passer des soirées "entre hommes", ce qu'elle a fait à la grand-mère. Il la punit en l'attachant toute une journée dans la cour. Venues aux nouvelles, ses anciennes amies pensionnaires, la trouvent ainsi, la détachent, elles s'amusent toute la journée. Le soir, ses amies veulent la ramener en ville, mais Ottilie refuse : elle demande à être rattachée. En entendant les pas de son mari sur le sentier, elle prend une pose comme si elle s'était pendue, très heureuse de produire son "effet". Nous n'en saurons pas plus et je suis encore, à l'heure où j'écris ses lignes, sous le tour de force de ce Truman...

"Tu n'as pas bonne mine, Ottilie, disait-elle, glissant quelques sucreries dans le vinaigre de sa voix. Tu manges comme une fourmi. Pourquoi ne bois-tu pas par exemple un bol de cette bonne soupe ? - Parce que, répliqua Ottilie avec calme, je n'aime pas les buses dans ma soupe, ni les araignées dans mon pain, ni les serpents dans mon ragoût. Je n'ai d'appétit pour rien de tout ça !"

La guitare de diamants
C'est l'histoire d'un prisonnier, Mr Shaeffer : un vieil homme condamné à la prison pour 99 ans et un jour. La prison est en pleine forêt. Un jour, Tico Feo, un jeune homme arrive. Il a pour seuls biens quelques objets, dont une incroyable guitare en faux diamants dont il joue magnifiquement. Mr Shaeffer prend sous son aile protectrice Tico et ce dernier le persuade qu'ils vont s'enfuir tous les deux. Il lui redonne espoir. Mais seul Tico réussira à s'évader. Et Mr Shaeffer gardera pour le reste de sa vie la guitare en diamants.

Les souvenirs de ce temps là étaient comme ceux d'une maison inhabitée dont les meubles sont tombés en poussière. Mais ce soir là, c'est comme si des lampes avaient été allumées à travers les lugubres chambres mortes. Cela avait commencé en voyant Tico Feo s'avancer à travers le crépuscule avec sa splendide guitare. jusqu'à ce moment, il n'avait pas mesuré sa solitude. A présent qu'il en avait pris conscience il se sentait vivant. Etre vivant c'était se souvenir des rivières brunes où courent les poissons et du soleil sur des cheveux de femme.

Un souvenir de Noël
La dernière histoire du livre est celle de deux êtres séparés par l'âge mais réunis dans une même connivence enfantine. Le narrateur, 7 ans, suit comme une ombre la vieille cuisinière de la maison, sa lointaine cousine. Tous deux passent leur temps ensemble, et réalisent chaque année des cakes aux fruits qu'ils envoient à des inconnus. Toutes leurs économies servent à l'achat des ingrédients et à l'envoi des gâteaux. Pour Noël, ils vont dans la forêt, en rapportent un arbre gigantesque qu'ils décorent de papiers découpés et de boules de coton. Cette paisible entente est interrompue lorsque Buddy est envoyé dans une école militaire. Il continue à recevoir de son amie comme il la nomme un cake et une pièce pour aller au cinéma. Jusqu'au jour où il sait, il sent, qu'elle est morte...
...je t'ai fait un autre cerf-volant. J'avoue alors que je lui en ai fait un, moi aussi, et nous rions. La bougie a bougé trop bas pour qu'on puisse la tenir et elle s'éteint, révélant la lumière des étoiles, les étoiles tournent devant la fenêtre comme un visible carrousel que lentement, lentement le jour fait taire. Il se peut que nous somnolions, mais la naissance de l'aube nous asperge comme de l'eau froide.
Merci à Lou pour m'avoir envoyé ce livre rempli d'une poésie inspirante !

20 octobre 2007

Le sang des farines - Jean-François PAROT


Le sujet
Nicolas le Floch enquête cette fois sur la mort de son voisin Mourut, boulanger de son état et retrouvé dans son pétrin d'une manière à faire croire à une attaque, mais vraisemblablement assassiné. Les suspects ne manquent pas, une épouse mal mariée, des apprentis maltraités. Mais d'autres pistes entraînent Louis vers une affaire bien plus profonde, plus ancienne. Une coalition secrète se réunit depuis longtemps et fomente les prémices d'un contre pouvoir, visant à faire grimper le prix du pain en période de mauvaises récoltes pour exciter le peuple à se rebeller. Qui tire les ficelles ? Le peuple gronde, les émeutes claquent comme des miches prêtes à exploser. Quelques coupables seront jugés et exécutés en place publique. Louis, fort de son esprit d'analyse et secondé par son loyal et vaillant entourage, va déjouer une nouvelle fois les plans ourdis par des forces obscures qui servent les intérêts des ennemis du Roi.

Le verbe
Le fou rire qui les réunit alors fut interrompu par l'arrivée glorieuse des oeufs et des laitances disposées sur des roties de pain grillé à la braise et nappés d'une sauce fumante et odorante. Ils s'y consacrèrent avec gourmandise. L'hôte leur expliqua que, souhaitant éviter de faire éclater les poches, surtout pour les oeufs, il les baignait dans un beurre abondant et à chaleur calculée. Tout résidait dans la rapidité souple du savoir-faire sans saisir, ni cuire à l'insensible. On jetait des échalotes émincées pour leur faire prendre couleur et parfum. Ensuite, il importait de délayer dans une jatte une cuillère de bonne moutarde, une pincée de cassonade et une giclée de vin blanc sec. de cet ensemble bien mêlé, il restait à inonder la poêle en un tour de main, en ne pleurant pas à la fin, le poivre et le persil.
...
Tout se bousculait dans sa tête, il s'imposa d'y faire le vide. Paris, qu'il aimait tant s'agitait autour de lui, offrant mille distractions à l'observateur avisé. Cependant, assombri par ses soucis, il ne relevait dans ce spectacle que ce qui était triste, et inquiétant.
...
Tous ces exemples, et le sien propre, lui confirmait qu'il valait mieux souffrir d'une injustice que d'un remords.
...

Mon complément
L'avant dernier roman de Jean-François Parot à ce jour parut possède un titre des plus énigmatique "le sang des farines". L’intrigue nous plonge, non pas dans le pétrin, mais dans le 18ème, pas l’arrondissement, mais le siècle. Celui des lumières. Comme à son habitude, Jean-François Parot nous entraîne dans le sillage du Roi (nous en sommes au début du règne de Louis XVI) ou dans les caves humides des cachots. On l'accompagne dans les rues boueuses et crottées de Paris, on s'attable dans une auberge devant des plats abondamment décrits (à vous mettre l'eau à la bouche). Car le vocabulaire que l'auteur utilise est savoureux comme la description minutieuse de la vie à cette époque. A croire que l'auteur a, pour nous, remonté le temps, histoire de nous inoculer le virus du passé. Un comble pour moi qui ai toujours été nulle en histoire parce que je détestais apprendre "par coeur". Maintenant j'en redemande ! Le final ressemble aux réunions d'Hercule Poirot : les principaux personnages sont réunis et Louis déroule toutes les affaires qu'il a eu à démêler et qui se recoupent comme des cartes à jouer sur une table faussée, c'est théâtral et jubilatoire, j'adore !!!

07 octobre 2007

Les freres Grimm (2005)


Réalisateur : Terry Gilliam
Genre : conte fantastique
Année : 2005


L'histoire :
Allemagne, XIXe siècle. Les deux frères Grimm, Wilhelm (Matt Damon) et Jacob (Heath Ledger) sont célèbres pour leurs pratiques de désenvoûtement opérées dans les villages où les fantômes, créatures et sorcières épouvantent les habitants supersticieux. Pour venir à bout des apparitions, ils n'usent ni de force, ni de magie, mais ont un secret : grâce à une habile mise en scène mêlée de trucages et avec l'aide de complices, il font croire qu'ils font battre en retraite les créatures infernales.

Un jour, ils sont obligés de se rendre dans le village de Marbaden où une dizaine de petites filles se sont volatilisées. Autour du village, une étrange forêt dans laquelle les frères s'aventurent, guidés par la belle et sauvage Anjelika (Lena Headey) dont le père est mort, et dont les deux petites soeurs ont elles aussi disparu.

Au coeur de la forêt, ils trouvent une immense tour que surmonte la chambre mythique de la Reine la plus belle (Monica Bellucci). Une légende raconte que cette Reine ne vivait autrefois que pour sa légendaire beauté. Lorsque la peste arriva et décima tout son royaume, elle se voulu se réfugier dans une chambre qu'elle fit construire en haut de la tour mais la peste ne l'épargna pas et elle fut également ravagée par la maladie, et, bien qu'immortelle, elle se mit à perdre sa beauté et ressembler à une momie.

Le père d'Anjelika, devenu un loup garou, n'est pas tout à fait mort : il vit grâce à une épine que la Reine lui a plantée dans le coeur pour l'asservir à sa cause. Il doit réunir douze filles, leur prélever leur sang pour qu'elle puisse retrouver son apparente jeunesse. La tour dispose à son pied douze tombes où se trouvent, endormies, les petites filles enlevées. La dernière sera Anjelika. La Reine n'existe que grâce à sa magie et aux illusions qu'elle créée grâce à son miroir.

Celui-ci ne reflète qu'une apparente réalité. Au terme d'un combat contre lui même, Jacob brise l'enchantement en cassant le miroir. La Reine se désagrège (la séquence où la Reine tombe en morceau de verre est très réussie !), la tour s'écroule. Dans les décombres, les frères se retrouvent, Anjelika et les 11 petites filles sortent de leur tombeau. Tout est bien qui finit bien !

Mon avis :
Un film très amusant, on y retrouve un nombre impressionnant de personnages de contes et légendes. De mémoire, j'ai reconnu le petit chaperon rouge et Hänsel et Gretel (épisodes des petites filles enlevées au début), Cendrillon (les petites filles sont chaussées de pantouffles de "verre" avant dêtre enterrées), le roi Grenouille (une grenouille leur sert de boussole pour se repérer dans la forêt malveillante aux arbres mouvants), Blanche Neige (la reine, son miroir et son chasseur), Peau d’Âne (Anjelika est revêtue d'une étrange peau de bête), la princesse au petit pois (la reine dort sur un lit où s'empilent une multitude de matelas), la Belle au Bois Dormant (le baiser de la fin !), et j'en oublie certainement...

Ce film est annoncé "tout public", je l'ai vu avec mes enfants de 4 et 9 ans. Mais j'avoue que certaines scènes sont légèrement impressionnantes : mon fils (4 ans) n'a pas aimé le loup garou mais il a tout de même été "rassuré" par la transformation du loup en homme.

Un film à voir un dimanche après-midi, avant d'aller soi-même affronter la forêt, la vraie. Avec ses surprises et ses frayeurs. Mais c'est une autre histoire qu'il me faudra raconter...

03 octobre 2007

Une jeunesse à l'ombre de la lumière - Jean-Marie ROUART


Dans ce livre, je retrouve beaucoup de ce que j'aime, il est donc fort possible que je m'autorise quelques digressions pour appuyer ce qui me passe par la tête. Comment faire autrement puisque ce livre parle d'une famille d'artistes-peintres dont l'auteur est un descendant. Oui comment faire autrement que de passer d'une idée à l'autre comme si je faisais moi aussi des mélanges sur la palette de mon clavier numérique ? Je ne connaissais pas Jean-Marie Rouart, ou du moins son nom ne m'était pas familier.

"Une jeunesse à l'ombre de la lumière" n'est pas un récit linéaire mais une sorte de confession, il n'y a pas de plan prévisible mais un cheminement qui est celui du coeur, et le fil du récit raccomode les amours et les peines, les humiliations et les jouissances de toutes sortes. Cette subtile autobiographie est celle d'un homme devant faire face à sa vie, avec ses interrogations, ses déceptions, ses fuites en avant, ses passions, ses amours, ses renoncements, vécus sous la lumière ou plutôt dans l'ombre gigantesque de l'aura de ses aïeuls. C'est ainsi que je ressens le livre que je termine à peine. Ce livre offre tellement de choses que j'aime, qu'il me semble le connaître depuis toujours. Je citerai pour exemple quelques petites choses à la volée comme des pièces emportées : Venise, Jean d'Ormesson, Berthe Morisot, Saint-Sulpice, L'Académie française, le marronnier et j'en oublie. Toutes ses choses qui vivent avec moi depuis si longtemps qu'ils sont un peu à moi.

L'auteur est un idéaliste. Il voit son père peindre comme un artiste, sans chercher l'argent ni la gloire, ce qui le fait vivre une jeunesse assez chiche malgré la fortune familiale. Jean-Marie a décidé de devenir écrivain, mais peut-il y croire ? Il doute (mais pas nous !). Il a peur de faire fausse route, pourtant c'est dans cette voie que son coeur l'entraîne et nous partons avec lui sur les traces de Leopold Robert, un peintre du début du XIXème qui s'est suicidé, et dont Jean-Marie se préoccupe au point de faire les mêmes voyages, les mêmes séjours.

Nous sommes embarqués pour un voyage dans le temps, par petites touches, par grands élans brossés à travers le regard de Jean-Marie enfant, jeune homme, adulte. C'est un livre où les personnages de l'histoire, les écrivains, les peintres et les poètes revivent. Mais ils ne viennent pas à nous sous les traits d'icônes plus ou moins respectés, mais sous l'apparence charnelle d'hommes et de femmes avec leurs faiblesses, leurs dérives, leurs folies.

Ce que j'ai retenu de ce livre témoin d'un temps, c'est que vivre en désaccord avec sa conscience entraîne la chute ; vivre en équilibre entre deux mondes sujets à tremblements est comme de vivre sur une ligne de faille. Lorsque l'on s'en rend compte, quand la fissure se réveille et se révèle, la chute est douloureuse, d’autant qu’elle est brusque.

L'auteur fera plusieurs séjours au château du Mesnil, il y trouvera les fantômes impressionnants des célèbres artistes qui y ont séjourné. La mort est présente partout dans ce livre, mais elle est nécessaire, comme il nous le rappelle avec ce poème de Leconte de Lisle :
Et toi, divine mort, où tout rentre et s’efface,
Accueille tes enfants dans ton sein étoilé,
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace
Et rends-nous le repos que la vie a troublé
et comme lui-même nous le décrit si délicatement dans ces deux extraits choisis :
Je me souviens de son cercueil qui traversa lentement un petit village des Pyrénées, de cette impression que j’éprouvai, si nouvelle pour moi, de la mort. Lola ne m’a jamais quittée. Je lui parle parfois. Je sais qu’elle est quelque part dans un repli de l’irréalité, bienfaisante, dans ce monde si lointain et si proche que nous découvrirons un jour.
(il parle de sa tante)
et aussi dans ce passage où il nous parle de sa mère, restée en retrait mais mise en lumière au moment de sa disparition :
Ma mère en me quittant dans son apparence réelle s'est glissée en moi et je sens sa présence. Il n'est pas un instant, ..., que je ressente cette impression qu'elle est non seulement là, mais qu'elle s'est tissée dans les fibres de mon être ; ... , mon coeur qui bat n'est plus seulement le mien, il bat à l'unisson avec celui de ma mère. Il me semble que désormais c'est avec ses yeux que je regarde le monde.

C'est superbement dit ! très émouvant. Je m'arrête là pour ce livre que je recommande à ceux qui veulent gratter un peu la surface des choses sans avoir peur de se noircir les mains mais découvrir au contraire que tous, nous avons un rôle à jouer dans notre vie et que personne ne peut choisir à notre place.

19 septembre 2007

L'élégance du hérisson - Muriel BARBERY


Ce livre s’adresse à ceux qui savent, connaissent les philosophes et leurs théories, pour eux, la lecture se transforme en promenade de santé jouissive (je n’en fais pas partie car je suis nulle en philosophie), il y a aussi ceux qui veulent savoir (là, c’est moi !) et qui prendront le prétexte de combler leurs défaillances pour atteindre une capacité respiratoire digne, puis, il y a les moins résistants, les essoufflés, les paresseux, qui abandonneront au bout de deux tours de pistes et déclareront forfait car il y a beaucoup de références inconnues de ceux qui n'ont pas fait d'études littéraires.

Car lire Muriel Barbery, c'est un peu se lancer dans un sprint littéraire. Je m'explique. Il y a de très beaux paragraphes, de très belles tournures, des phrases sympathiques et originales, mais aucun repos de l'esprit. La course aux bons mots est une envolée tout au long du livre qui nous entraîne dans un curieux essor. J'avoue que je suis plus à l'aise lorsqu'il y a des vagues, une montée du spécial et une retombée de l'ordinaire. Avec Muriel, point de répit, nous sommes du début à la fin à marée haute, ce qui fait de son roman une œuvre pour érudits. Cependant, si, comme moi, vous êtes tenaces, et avez envie de connaître le réconfort après l'effort, poursuivez au delà des deux tiers du livre (page 261).

L'élégance du hérisson est le récit de deux journaux intimes, l'un tenu par Renée, la concierge cinquantenaire d'un immeuble cossu au 7 rue de Grenelle à Paris, le second par Paloma, une jeune fille de 12 ans (et demi) vivant dans le même immeuble, et qui a décidé de se suicider le jour de ses 13 ans ; à moins que, tout bien réfléchi, elle ne trouve d'ici là, un geste, un mouvement, qui soit digne de rester en vie. La jeune fille tient en fait deux journaux séparés : l'un sur l'âme qui expose ses réflexions en débutant par "Pensées profondes n° xx", l'autre sur le corps, qui présente ses observations sous les titres "Journal du mouvement du monde n° xx". Toutes deux vacillent dans leurs retranchements tout en décrivant leur vie, leurs observations et les liens avec leur entourage. Renée cache son penchant pour l'Art sous son habit de concierge abrutie et bougonnante. Paloma cache son intelligence rebelle en tentant d'échapper à sa famille, en refusant son destin.

Les deux protagonistes, les deux clandestines, se rencontrent au moment où entre dans leur vie respective, un homme inattendu, un nouveau propriétaire dans l'immeuble. M. Ozu est un japonais bien sous tous rapports qui va les révéler à elles-mêmes, tel un ange du destin. Apothéose délicate comme une fleur de lotus, ou plutôt un camélia (les initiés comprendront l'allusion).

Un livre qui m'a tiré des larmes à la fin, mais bon, je suis si sensible ! Mon problème ne fut pas de verser une larme, mais de l'avoir fait dans un lieu public, en l'occurrence le bus bondé de ce soir ; heureusement les gens sont bel et bien indifférents à ce qui se passe autour d'eux dans la vraie vie, de ce côté là, on est tranquille.

Tandis que, garante de ma clandestinité, la télévision de la loge beuglait sans que je l'entende des insanités pour cerveaux de praires, je me pâmais, les larmes aux yeux, devant les miracles de l'art.

Donc je chemine tranquillement vers la date du 16 juin et je n'ai pas peur. Juste quelques regrets peut-être. Mais le monde tel qu'il est n'est pas fait pour les princesses. Cela dit, ce n'est pas parce qu'on projette de mourir qu'on doit végéter comme un légume déjà pourri. C'est même tout le contraire.

Ces instants où se révèle à nous la trame de notre existence, par la force d'un rituel que nous reconduirons avec plus de plaisir encore que de l'avoir enfreint, sont des parenthèses magiques qui mettent le cœur au bord de l'âme, parce que, fugitivement mais intensément, un peu d'éternité est soudain venu féconder le temps.

Mme Michel, elle a l'élégance du hérisson : à l'extérieur, elle est bardée de piquants, une vraie forteresse, mais j'ai l'intuition qu'à l'intérieur, elle est aussi simplement aussi raffinée que les hérissons, qui sont de petites bêtes faussement indolentes, farouchement solitaires et terriblement élégantes.

Attention spoiler
Addenda destiné à ceux qui ne pourront pas lire ce livre, ou qui désirent connaître la fin de l'histoire. Peu à peu, Paloma comprend que son suicide est incongru. Elle qui n'avait de goût à rien, se permet de croire qu'elle a un rôle à jouer dans le monde, un rôle à sa hauteur de petite fille sérieuse et désespérée. M. Ozu se rend compte qu'elle est ce qu'elle est et ce nouveau regard la rassure, la réconforte. Il ne lui parle pas comme à un bébé, mais comme à une personne digne de confiance et de compréhension.

Tous deux, complices, s'entendent pour prouver que Renée joue un rôle de composition. Ils ont compris que la concierge n'était pas aussi bête qu'elle s'efforce à le laisser croire. Renée aime les romans russes, au point d'avoir appelé son chat Léon en hommage à Tolstoï. Renée aime la grande musique, les peintres hollandais. Renée est prisonnière des apparences, il faut la sauver.

M. Kakuro Ozu, que tout l'immeuble tente d'approcher par curiosité, invite Renée, lui rend un peu de sa féminité. Elle, qui se sentait laide, va chez le coiffeur, porte une robe bien coupée, se maquille, au point que les dames de l'immeuble ne la reconnaissent pas lorsqu'elles croisent le couple Kakuro-Renée pimpante.

Renée revit, et en même temps, Paloma sort de sa coquille morbide, éclot dans son nouveau monde, un monde où le geste qu'elle cherche ailleurs est en fait en elle. Elle dit très joliment dans son journal :
C'est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent.

Renée revit, elle se met même à croire à une amitié, la seule de sa vie :
...nous pouvons être amis. Et même tout ce que nous voulons.

Kakuro fait cette déclaration à Renée, ébahie et presque effrayée !

La fin du roman est un remake des chutes du Niagara. Renée, en voulant porter secours au SDF de la rue d'à côté, se fait renverser par une camionnette, un choc mortel, mais la mort ne vient pas de suite. Avant de partir, ses pensées se pressent devant elle, et elle passe en revue les moments phares dans la nuit qui approche. Elle parle à ses amis, les anciens comme les nouveaux.

Sa chère Manuela, la princesse femme de ménage :
Manuela mon amie.
Au seuil de la mort je te tutoie enfin.

Lucien, son mari bien aimé :
J'éprouve aujourd'hui un curieux sentiment, celui de te trahir ; mourir, c'est comme te tuer vraiment. Il ne suffit donc pas à l'épreuve que nous sentions les autres s'éloigner ; il faut encore mettre à mort ceux qui ne subsistent plus que par nous.

Kakuro, son dernier espoir :
Ce n'est que fugitivement que je pense à vous aujourd'hui ; quelques semaines ne donnent pas la clef ; je ne vous connais guère au-delà de ce que vous fûtes pour moi : un bienfaiteur céleste, un baume miraculeux, contre les incertitudes du destin.

Paloma, sa fille spirituelle :
Paloma, ma fille. Je n'ai pas eu d'enfant, parce que cela ne s'est pas fait. En ai-je souffert  ? Non. Mais si j'avais eu une fille, ç'aurait été toi. Et, de toutes mes forces, je lance une supplique pour que ta vie soit à la hauteur de ce que tu promets.

C'est beau n'est-ce pas ?

Oui, c'est beau. Et pour Marie-Louise S (MarieL), les derniers paragraphes de ce livre qui est une ode à la vie :
Toujours est-il que nous sommes descendus à la loge, avec Kakuro. Mais en traversant la cour, on s'est arrêtés net tous les deux en même temps : quelqu'un s'était mis au piano et on entendait très bien ce que quelqu'un jouait. C'était du Satie, je crois, enfin, je ne suis pas sûre (mais en tout cas c'était du classique).

Je n'ai pas réellement de pensée profonde sur le sujet. D'ailleurs, comment avoir une pensée profonde quand une âme soeur repose dans un frigidaire d'hôpital ? Mais je sais qu'on s'est arrêtés net tous les deux et qu'on a respiré profondément en laissant le soleil réchauffer notre visage et en écoutant la musique qui venait de là-haut. "Je pense que Renée aurait aimé ce moment", a dit Kakuro. Et on est resté là quelques minutes, à écouter la musique. J'étais d'accord avec lui. Mais pourquoi ?

En pensant à ça, ce soir, le coeur et l'estomac en marmelade, je me dis que finalement, c'est peut-être ça la vie : beaucoup de désespoir mais aussi quelques moments de beauté où le temps n'est plus le même. C'est comme si les notes de musique faisaient un genre de parenthèses dans le temps, de suspension, un ailleurs ici même, un toujours dans le jamais.

N'ayez crainte, Renée, je ne me suiciderai pas et je ne brûlerai rien du tout.

Car pour vous, je traquerai désormais les toujours dans le jamais.

La beauté dans ce monde.

12 septembre 2007

L'énigme du clos Mazarin - Jean d'AILLON


Le sujet
L'énigme du clos Mazarin nous emmène à Aix, au printemps 1647. Cette ville est le théâtre d'une conspiration visant à déstabiliser la politique du roi de France, Louis-Dieudonné, âgé de 9 ans, et donc de son ministre Jules Mazarin, par la vente de lettres de provision signées, sous la contrainte, par le frère du ministre, Michel Mazarin. Ces lettres permettaient de revendiquer une charge de conseiller au parlement. Or la ville est sur le point de s'agrandir, du fait de la vente d'un terrain, ce qui suppose une extension du parlement en place. Averti par le gouverneur de Provence, à qui les malfaiteurs ont tenté de revendre une des fameuses lettres, Mazarin envoie le fidèle et loyal Louis Fronsac enquêter sur l'origine des lettres, et surtout, d'empêcher que celles-ci continuent à circuler. Accompagné de ses 3 valeureux et fidèles compagnons, Gaston de Tilly, Bauer et Gaufredi, Louis, l'homme aux précieux rubans noirs, mène son enquête "tambour battant", ou devrais-je dire : "armes et épées au poing", afin de sortir vivant des nombreux traquenards que les ennemis du roi ne vont pas manquer de disposer autour de lui.

Le verbe
Au même instant, il aperçut - comme dans un rêve - la tête de son agresseur qui se détachait de son corps et qui volait doucement dans les airs. Je suis mort, pensa-t-il. Malgré cette certitude, il suivit du regard ce visage qui traversait la nuit et il le vit s'écraser, tout près de lui, dans un floc gluant répugnant.

Mon complément
Lire Jean d'Aillon, c'est un peu être un poisson plongé dans un bocal d'histoire. Partant de faits historiques dûment vérifiés, Jean nous conte les complots, mystères et énigmes historiques, il fait revivre les portraits des musées, manipule avec dextérité les écrits archivés et brode avec soin une histoire romanesque plus proche du polar que du livre d'heures, pour ma plus grande joie, car j'avoue bien volontiers n'avoir rien retenu de ma scolarité (ou si peu), et ce n'est que très récemment que l'histoire me captive.

Lorsque je lis Jean d'Aillon, il n'est pas rare de me voir sourire, ou rire et même essuyer une larme, tant les situations sont cocasses, truculentes ou émouvantes. Louis Fronsac, son héros récurrent, ancien notaire devenu enquêteur, m'emporte cette fois à Aix, une ville que nous découvrons aussi sale que la capitale à cette époque : boueuse, empestant l'urine et les excréments, véritable cloaque où cohabitent et survivent hommes et animaux. La rue qui permet à tout un chacun de faire ses besoins porte un nom des plus bucoliques :
C'est Lou Filadoux, le lieu où l'on fait ses selles sans façon ! Vous y trouverez toute la ville le pantalon baissé !
Bravo Jean ! Et merci pour cette évasion qui me fait bien comprendre que nous sommes des survivants (à la peste, à la famine, au manque de soins, aux guerres, aux réglements de comptes, etc...) et qu'il faut, je le pense sincèrement, toujours relativiser ce qu'est notre vie dans ce monde. Et ce que l'on veut en faire.

06 septembre 2007

Une prière pour Owen - John IRVING


Le sujet
John Wheelwright, le narrateur, se souvient d'Owen Meany, son ami d'enfance, son meilleur ami, son seul ami. Owen est un phénomène : il se croit l'envoyé de Dieu. De très petite taille, doté d'une inexplicable voix rauque, il surpasse pourtant ce qui aurait pu être de la disgrâce pour s'imposer et imposer sa foi. Différent physiquement, il l'est aussi intellectuellement : surdoué, critique, passionné. Il est également différent spirituellement. Quand Owen, à 11 ans, tue accidentellement la mère de John, il pense que c'est la volonté de Dieu. Owen n'est pourtant pas un illuminé, simplement, il a des visions et il n'y peut rien changer. Il rêve de son avenir, il rêve de sa mort. Il tient son journal dans lequel toutes ses certitudes se matérialisent noir sur blanc, en majuscules (comme les conversations d'Owen signalées par cette typographie tout au long du livre), et John récupérera le précieux souvenir à la mort de son fidèle ami. Au fil des pages, Owen et John grandissent. Classes préparatoires, université. Convaincu de son destin, Owen oeuvre sans chercher à y échapper. Au contraire, il va au devant de lui et le rejoint. Owen est persuadé qu'il va mourir au Vietnam (nous sommes à la fin des années 60). Il s'engage dans l'armée par foi, car il sait qu'il doit aller se battre pour "sauver des vies" : il s'est "vu" sauvant des enfants vietnamiens...Finalement, Owen perdra ses bras, et la vie, en se jetant sur une grenade lancée par un jeune schizophrène au milieu d'un groupe d'enfants réfugiés. Bien qu'il soit persuadé qu'Owen ne l'a jamais quitté, car il sait qu'Owen rôde dans sa mémoire tel un fantôme rassurant, sa disparition "physique" laisse John, à jamais inconsolable. Et c'est cette absence qui met en évidence l'existence de ce "Dieu" qui lui a ravi son seul ami.

Le verbe
Quand meurt, de façon inattendue, une personne aimée, on ne la perd pas tout en bloc ; on la perd par petits morceaux, et ça peut durer très longtemps. Ses lettres qui n'arrivent plus, son parfum qui s'efface sur les oreillers et sur les vêtements. Progressivement, on additionne les pièces manquantes.
Mon complément
John Irving est puissant, comme l'athlète qu'il est. John Irving est un être de conviction, qui déverse dans ce livre tout ce qu'il pense de la politique américaine, des encombrements de la foi, de l'inconcevable perdition de l'humanité, de la folie destructrice. Mais John Irving a de l'humour et il est intelligent, son humour est donc sous-tendu comme une toile d'araignée, trop fine pour être détachée. J'ai pleuré et j'ai ri, c'est donc pour moi un livre réussi car il m'a emportée dans son univers, par ailleurs fortement inspiré de la vie personnelle de l'auteur.
Les rituels sont d'excellents remèdes à la solitude.
Il donne à son héros un élan immense. Owen, va loin, plus loin que tout, plus loin que l'espoir. Owen s'entraîne avec John au basquet, une gageure pour ce petit homme d'un mètre 52. Et pourtant, chaque action aura sa réaction. Tout le livre est émaillé d'indices, comme des pierres blanches que seul le petit poucet saura repérer.
Je ne savais pas très bien comment prier, alors ; je ne croyais même pas en la prière. Si aujourd'hui on me donnait l'occasion de prier pour Owen Meany, je me débrouillerai mieux ; sachant ce que je sais, je serai capable de prier plus intensément.
Owen est un personnage attachant, c'est drôle car j'ai lu que certains l'ont trouvé exécrable. Non, pour moi, il est aussi attachant qu'Harry Potter. Owen a des parents imbéciles malheureux, qui sont certainement à l'origine de ses désillusions. Mais Owen est un battant. Un battant pour l'autre, pas pour lui-même.

Savoir qu'un tel être puisse exister est un réconfort, même s'il reste un être de fiction. Celui qui achève ce livre sans un pincement de cœur, ou n'importe quoi qui y ressemble, une grande respiration, un détournement des yeux pour arrêter la larme qui coule, n'est pas humain, je le dis comme je le ressens.

Je sais que certains ne sont pas parvenus à la fin sous prétexte de détails, d'autres affirment que c'est le meilleur d'Irving. J'ai trouvé les détails absolument indispensables pour entrer dans le champ de vision de John, ses perceptions, ses appréhensions, ses hésitations, ses regrets, ses souvenirs. Ce livre étant mon premier de l'auteur, je ne peux rien affirmer ou confirmer sur le second point.

A la fin du livre, John implore :
"O Dieu, par pitié, rend-le nous !

Alors, à son exemple, je demande à John Irving : "John, dites-moi qu'un tel ami a vraiment existé".

27 août 2007

Le labyrinthe de Pan (2006)

Réalisateur : Guillermo Del Toro
Genre : drame fantastique
Année : 2006


Attention ! Je dis tout ce que je pense et ce que j'ai vu, ce que j'ai perçu. J'écris sans analyse profonde, juste l'essentiel de mon ressenti. Ne lisez pas ce billet si vous n'aimez pas connaître la fin des histoires !

Nous sommes en 1944. A la fin de la guerre d'Espagne, les troupes de Franco continuent le combat contre les résistants. La jeune Ofélia (Ivana Baquero), une dizaine d'année, grande amatrice de contes de fées malgré la désapprobation de sa mère qui la trouve trop âgée pour ce genre de lectures, arrive dans son nouveau domaine gouverné par le capitaine Vidal (Sergi Lopez), celui qui est désormais son beau-père suite au remariage de sa mère Carmen (Ariadna Gil).

Durant le voyage, Carmen, en fin de grossesse, se sent mal et demande l'arrêt de la voiture. Ofélia en profite pour s'aventurer un peu sur le chemin, et aperçoit une étrange sauterelle. Le même insecte revient le soir même dans sa chambre. Tandis qu'Ofélia lui demande si elle est une fée, la sauterelle, par un savant jeu d'ombre se transforme effectivement en fée à la grande surprise de la jeune fille (on songe à l'ombre de Peter Pan, à la fée Clochette) et lui fait signe de la suivre dans la forêt toute proche, où subsistent d'étranges vestiges au centre d'un labyrinthe semblant abandonné depuis longtemps.

Ofélia découvre sur son épaule, sa marque de naissance, sous le signe de la Lune

Dans le labyrinthe d'arbres et de ruines, Ofélia arrive au bord d'une sorte de puits entouré de marches, et tout en criant "Echo" en entendant sa voix (sensation trouble d'un double à venir), fait la connaissance de Pan, le faune (Doug Jones – bien évidemment méconnaissable !) au regard minéral, qui lui annonce de sa voix étrange qu'il la reconnaît, qu'elle est l'âme de la princesse Moana perdue sur la Terre, la fille du roi du monde souterrain, un monde qui ne connait ni la douleur, ni le froid, ni la mort. Moana s'est échappée autrefois, il y a bien longtemps, pour découvrir le monde, et elle en est morte. Son père l'attend depuis tout ce temps. Il a fait construire des passages semblables à celui-ci partout dans le monde pour qu'elle puisse redescendre dans son royaume. Mais avant de pouvoir rejoindre son monde et de retrouver ses parents, Ofélia doit subir et réussir trois épreuves.


L'inquiétant faune lui remet un livre aux pages encore blanches. Au moment où elle sera seule, les pages feront apparaître l'objet de sa première épreuve. C'est isolée dans la salle de bains qu'elle découvre sa première mission.

Elle doit se rendre auprès d'un arbre mort car celui-ci est parasité par la présence d'un immense crapaud. Elle doit ramper sous ses racines, dans la boue et les blattes, et se débarrasser de l'immonde créature qui empêche l'arbre de croître normalement. Enfin, elle doit récupérer la clef qu'il recèle dans son ventre et qu'en mourant, il régurgite.


Parallèlement aux aventures d'Ofélia et tout au long du film, nous suivons la lutte acharnée du capitaine Vidal, avec force violences à vous retourner le cœur (et détourner les yeux). Nous suivons également la présence discrète mais importante de Mercedes (Maribel Verdú) la gouvernante de la maisonnée, qui fourni une aide précieuse aux résistants (vivres, courriers, médicaments…) et qui est également la seule présence amie pour la petite fille dans cette terrifiante maison, en dehors de celle de sa mère, préoccupée par sa grossesse et incapable de la rassurer efficacement.

Pour la deuxième épreuve, Ofélia doit se rendre, grâce à une craie magique qui lui ouvre une porte, dans un autre monde souterrain où, grâce à la clef, elle devra récupérer un poignard niché dans une cache. La cache se situe dans une salle à manger au milieu de laquelle trône une immense table qui présente de somptueux mets, qu'Ofélia a interdiction de manger. La salle à manger souterraine est calquée sur celle du capitaine, qui offre elle aussi une multitude de plats aux yeux des convives, au moment même où le capitaine annonce qu'il vient de décider l'organisation du rationnement qui aura pour effet d'empêcher les villageois d'aider les résistants ; affamés, ceux-ci seront alors obligés de sortir de leur cachette.


Ofélia trouve le poignard, s'en empare, mais en passant le long de la table au bout de laquelle une improbable créature semblant dormir est attablée, elle ne peut s'empêcher de manger deux grains de raisin. Ce geste a pour conséquence de sonner le réveil du monstre dévoreur.

Le monstre, à l'esthétique très proche des visions de David Lynch

Le monstre, le "Pale Man", voit grâce à des yeux qu'il s'enfonce dans les paumes lorsqu'il se réveille. Tel un effroyable ogre famélique mais vorace, il la prend en chasse. In extremis, Ofélia échappe à son épouvantable poursuivant qui, entre-temps, a attrapé et dévoré deux des trois fées qui l'accompagnaient dans sa mission (on songe au tableau de Goya : "Saturne dévorant un de ses enfants", l'allusion est évidente).


Ofélia remet le poignard au faune. La fin est proche. Carmen accouche dans le sang et la douleur, elle meurt en mettant au monde son fils, gardé dans la chambre de son père, l'affreux capitaine Vidal. Celui-ci ayant découvert la traîtrise de sa gouvernante est sur le point de la torturer, mais se retrouve mutilé quand Mercedes se défend et lui déchire la bouche à l'aide d'une lame cachée dans son tablier, avant de s'enfuir.

Ofélia aborde la dernière épreuve : elle doit amener son petit frère au faune. Dans le labyrinthe, Pan l'informe que l'ultime épreuve consiste à verser dans la mare, dans le reflet de la pleine Lune, le sang d'un innocent, son frère. Ofélia recule devant l'acte et annonce qu'elle préfère renoncer à son royaume. Lancé à sa suite, le capitaine Vidal arrive dans le labyrinthe. Apeurée, désespérée, Ofélia lui rend l'enfant. Vidal récupère son fils, mais, imperturbable de cruauté, tire sur Ofélia qui s'écroule, blessée à mort. C'est la première image du film : le sang coule de son nez, sa main pendouille au-dessus du vide (dès le début, on se doute bien que le film n'a pas une fin classique de conte de fées...). Ce n'est d'ailleurs pas un film pour les enfants. Pas pour les miens en tout cas (9 et 4 ans), du moins, pas pour le moment !

C'est alors qu'Ofélia se transpose dans le monde (supposé) tout en bas du labyrinthe, somptueusement habillée et accueillie par ses parents. Elle reconnaît sa mère, magnifique. Son père lui apprend qu'elle a réussi les 3 épreuves, que la dernière épreuve consistait à éprouver son courage et sa loyauté. Elle est chez elle désormais. Pour toujours. Au dessus d'eux, l'autre Ofélia, l'enveloppe humaine, repose dans les bras d'une Mercedes éplorée (mais Vidal est exécuté).

Mon avis
Devant un tel film, je suis tentée de me cacher les yeux car la souffrance, même supposée quand il s'agit d'un film m'est franchement insupportable (quand je pense au nombre de films d'horreurs que j'ai vu dans ma jeunesse, je me demande si j'avais bien un cœur…).

Heureusement, certaines scènes sont suffisamment intéressantes et utiles à mon imaginaire fantastique pour que je puisse m'en émerveiller. Tout au long du film, j'ai reconnu les thèmes de prédilection de Del Toro : le temps, les monstres, les mécanismes, les insectes, le surréel.

Le temps. Le capitaine Vidal est obnubilé par sa montre et l'exactitude du temps. Il ne veut croire qu'en une chose : l'exactitude, la pureté, la "perfection". Mais il vit dans la fange de l'abjection, il impose sa force et son pouvoir aveugle, et il ne semble avoir aucun sentiment humain, même l'amour, nous nous demandons s'il sait à quoi cela ressemble. Inquiet au sujet du bébé à venir, il demande même au docteur de sauver son fils, tant pis si la mère doit mourir. C'est dire…

Le temps. Le "Pale Mal" est aveugle quand il est immobile. Faut-il comprendre que quand le temps s'arrête, tout est invisible, hors de la perception ? Mais le temps peut-il s'arrêter ?

Le rêve d'un autre monde. Quand Ofélia se retrouve sous l'arbre mort, je songe inévitablement à cette autre petite fille, Alice, engagée dans le terrier du lapin, à mi chemin entre la réalité et le songe. Ofélia est très sensible mais forte de ses croyances inébranlables dans le monde magique. C'est pour moi ce qui la sauvera, du moins son esprit, d'une mort funeste et trop injuste.

Ofélia parle à son petit frère dans le ventre maternel, elle lui promet qu'il sera le prince de son royaume. Finalement, c'est lui qui la rendra aux siens, qui lui donnera cet aller simple pour le royaume de légende, celui qui la comblera de ses désirs.

Et comme dernière image, s'il en fallait une, les yeux (mouillés) du spectateur se (re)posent sur une fleur blanche qui pousse sur l'arbre mort sauvé par Ofélia. Une fleur blanche qui n'a rien à faire sur cette branche. Une fleur imaginaire, bien sûr. Car la petite princesse a laissé des traces de son passage, mais uniquement pour "ceux qui savent où regarder". J'en suis. Car je suis restée une enfant pour qui les choses imaginaires sont ce qu'elles sont : la vérité des rêves. Et à eux, rien n'est impossible.

Pour finir, je vous invite à entrer dans le site officiel du film, vous y entendrez en fond musical, la berceuse d'Ofélia, celle que lui chante Mercedes pour la rassurer :

le site en français

et ici, le site en anglais

22 août 2007

Souvenirs de la guerre récente - Carlos LISCANO


Le sujet
Un pays imaginaire. Un homme récemment marié voit sa vie être chamboulée le jour où les militaires débarquent chez lui pour l'enrôler de force dans l'armée car le pays est en guerre. Ou du moins se prépare à la guerre. Le voilà trimballé dans un camp loin de chez lui, la capitale, incapable de situer exactement dans quelle région il se trouve, n'ayant aucune information sur le sujet de la part de ses supérieurs. Ses camarades sont eux-mêmes dans l'expectative. Sa première mission consiste à surveiller un rocher et à signaler toute approche ennemie. Par la suite, on lui confie la dactylographie de pages de manuels en anglais (la langue ennemie). Le seul contact avec l'extérieur est de pouvoir écrire une lettre à son épouse une fois par an. Sans jamais rien recevoir en retour. Par désoeuvrement, face à l'absurdité et l'incompréhension de la situation, le voilà plongé dans une quête de lui-même. Il finit par se trouver grâce à la contemplation de la nature. Dans cette vie où il ne se passe rien, où tout est vain, ou semble l'être, être avec la nature, revenir dans la nature-mère, devient son seul but, sa seule évidence. Son seul destin. Respirer la Terre, voir la nuit, se reconnaître dans cet univers le comble. De la guerre, nous ne saurons rien : notre homme ne la "fera" pas, n'ira pas au combat avec son fusil. Simplement, il y contribuera en allant à son bureau (une tente) tous les matins, de faire ses tours de garde, d'accepter sans broncher la pause café de mi matinée qui consiste à se faire servir par un planton une tasse d'eau chaude, sans thé ni café à y diluer. Cette vie va durer 15 ans au bout desquels il sera démobilisé, et autorisé à retourner à la capitale. Mais tout y a changé : la monnaie, les noms des rues. Sa femme l'a attendu. Mais il ne se reconnait pas dans cette nouvelle vie, sa vie "normale", rien ne peut être "comme avant". Sa nouvelle liberté le dérange, et il finira par s'engager dans l'armée.

Le verbe
J'ignore comment la ligne de ces pensées me conduisit à déclarer que, parmi tous les véhicules modernes inventés par l'homme, seule la bicyclette possédait quelque dignité, une qualité particulière qui la sauvait, lui gardait un lien avec les origines d'où tout provenait.
Mon complément
Dans cette histoire parabolique, Carlos Liscano, mathématicien uruguayen, retranscrit vraisemblablement l'expérience de ses 13 années d'incarcération. Il se réfugia alors dans les livres et plus particulièrement dans le récit "Les sept messagers" de Dino Buzzati, qui le comblera durant sa captivité, cette histoire ayant la particularité de faire appel aux mathématiques. L'auteur en fit sa bouée de sauvetage pour ne pas tomber dans le désespoir. On le comprend. L'éditeur, Belfond, montre d'ailleurs dans le livre que j'ai, un fac-similé d'une page de la copie que Liscano a faite car il voulait pouvoir relire la nouvelle et ne pouvait pas toujours l'emprunter à la bibliothèque de la prison. Il y a également la page de calcul qu'il a réalisée pour compter les trajets, le nombre de jours de voyages de chacun des sept messagers de l'histoire. Une histoire dans l'histoire qui vous fait frissonner. Pour l'auteur, et nous en serons d'accord, l'écriture offre une liberté inestimable : pouvoir être ce que l'on désire être. Pour un temps.

Il y a des livres avec lesquels la fusion est tellement évidente qu'elle en donne le vertige. Car l'auteur que l'on admire a inventé les mots qui nous ressemblent, et si tout est dit, que nous reste t'il ? Carlos Liscano est de cette étoffe : il habille mon existence qui prend alors une autre allure. Plus vraie. Lui-même est certain d'une chose : on écrit pour ressembler aux écrivains qu'on aime. Ses maîtres à lui se nomment Buzzati (moi aussi), Onetti, Kafka ou Céline. Liscano se compare à eux et retourne au fond de la classe, comme s'il se punissait. Il a tort. Il écrit bien et juste. Son écriture est touchante car limpide. Elle martèle les pages telle une pluie fine de mots qui tombent comme des gouttes sur le temps qu'il fait.

19 août 2007

Brooklyn follies - Paul AUSTER

Traduction par Christine Le Bœuf

Le sujet
Nathan Glass revient vivre à Brooklyn. Il a soixante ans, sort d'un cancer, vient de divorcer et est à la retraite. Comment va t'il occuper ses journées ? Il décide d'entreprendre la rédaction d'un livre qui serait un condensé des bévues, des anecdotes, des folies de la vie en somme. Un événement imprévu va modifier son destin. Il retrouve son neveu, Tom Wood, une graine d'écrivain qui a tout abandonné pour faire chauffeur de taxi et qu'il retrouve associé d'un mystérieux libraire. Mais la vie réserve d'autres surprises et c'est avec une émotion constante que l'on vient à bout de ce récit écrit comme un hymne à la vie, à l'amour, à la défense de ce que l'on croit juste, à l'espérance enfin, non sans une larme.

Le verbe
La lecture était ma liberté et mon réconfort, ma consolation, mon stimulant favori : lire pour le plaisir de lire, pour ce beau calme qui vous entoure quand vous entendez dans votre tête résonner les mots d'un auteur.
Mon complément
Lire Paul Auster c'est comme retrouver un vieil ami rassurant. Un de ceux avec lequel les mots ont de l'importance sans les dire, juste les effleurer de la pensée ou du regard. Lire Auster c'est vivre au fond de soi un moment. J'ose espérer qu'il en est conscient. Si cela n'était pas, je serai très déçue, enfin modérément car je ne saurais jamais ce qu'il en est. A quoi songe un écrivain lorsqu'il esquisse son histoire ? Un peu de hasard, un peu de désir, toujours la passion d'être. J'ose simplement espérer. Ouvrir un livre d'Auster c'est retrouver son univers, familier, légèrement relooké pour le voyage en cours, qu'importe. J'aime cela.
Tout homme contient en lui plusieurs hommes, pour la plupart, nous sautons de l'un à l'autre sans jamais savoir qui nous sommes.
A noter
Dans ce livre, Paul Auster évoque "La Lettre écarlate", un roman de l'écrivain américain Nathaniel Hawthorne. J'ai l'étrange impression qu'il a déjà évoqué ce titre dans un des deux autres livres que j'ai lu de lui à ce jour :
- Le livre des illusions
- La nuit de l'oracle.

Je trouve troublante l'idée de placer de façon récurrente un livre dans son propre livre, comme une sorte de gri-gri littéraire. Cette idée me plait décidément beaucoup.

18 août 2007

Dissimulation de preuves - Donna LEON


Le sujet
Une maison à Venise. Une vieille dame acariâtre, pour ne pas dire odieuse, est retrouvée chez elle, le crâne défoncé par son médecin. Le vol paraît être le mobile du meurtre : l’appartement est sens dessus dessous et la bonne, une femme immigrée clandestine, qui restait à demeure, a disparu. La nièce de la défunte affirme que les 700 euros qu’elle venait d’apporter à sa tante ne sont plus dans l’appartement. Lorsque la police retrouve la bonne en fuite, celle-ci est en possession de 700 euros. La police est satisfaite et croit tenir la coupable. En tentant de s’échapper, la bonne affolée dans sa tentive de fuite, meurt malencontreusement écrasée sous un train de marchandises. L’affaire est, semble t’il, résolue, malgré la mort du suspect.

A son retour d’Angleterre, trois semaines après les faits, un témoin se présente à la police : la jeune femme habite en face de la vieille dame assassinée et affirme avoir vu la bonne en bas de l’immeuble, enfermée dehors, affolée par le fait que sa maîtresse ne veuille plus la laisser entrer dans la maison. Prenant la décision de rentrer dans son pays, la jeune femme la prend en pitié et lui offre les 700 euros qu’elle vient de retirer de la banque, l’emmène à la gare et lui paye son billet de train pour le retour. A la lueur de ce nouveau témoignage troublant, le commissaire Guido Brunetti reprend l’affaire qui lui semble fort plausible et ce, malgré l’interdiction que lui fait son supérieur, le vice-questeur, et au grand mécontentement de l’inspecteur qui avait mené l’enquête pendant ses vacances.

Si ce n’est pas la bonne qui a assassiné la vieille ingrate, qui a pu agir ainsi et pourquoi ? Le fils de la défunte faisait-il chanter quelqu’un ? Cette piste est suivie par le commissaire car des rentrées d’argent mensuelles duraient depuis plusieurs années et étaient ensuite ventillées sur plusieurs comptes. Cet argent a finalement été transféré vers un paradis fiscal quelques jours seulement après la mort de la vieille vénitienne. De son mari ou de son fils, morts tous deux depuis des années, lequel avait trouvé une preuve pour faire chanter un personnage sans doute respectable ? Le commissaire entreprend une longue et minutieuse enquête dans l’entourage de la vieille dame, ainsi que dans son grenier où sont remisés les derniers souvenirs.

Le verbe
Elle n’eut qu’à y penser un instant et comprendre qu’une telle somme d’argent, passant d’un service à l’autre avait autant de chances de survie qu’un glaçon qu’on se passerait de main en main sur la plage du Lido.
Mon complément
Tentée par le découverte de Venise et aimant les polars, je ne pouvais que lire, au moins une fois, du "Donna Leon", auteure réputée pour faire vivre ses personnages dans cette ville sérénissime et mystérieuse. Le style est plaisant, parfois amusant. Un bon moment de lecture.

25 juillet 2007

Le village - bonus (2005)

Je viens de visionner les bonus du DVD "le Village" dont je parlais il y a quelques jours. Je constate que j'ai oublié d'écrire certaines choses. Il faut comprendre que ce film est un film d'amour avant tout. Amour des anciens pour leurs semblables, volonté de les conserver dans un état d'innocence, d'ignorance aussi pour leur épargner les vicissitudes. Les anciens du conseil ont désiré et imaginé cette communauté utopique, authentique, vivant sur elle-même sur les bases de la vie d'un village du XIXème siècle, le temps présumé de l'innocence. Amour d'Ivy pour Lucius. Pour lui, elle va aller au bout d'elle-même malgré son handicap, malgré les bruits inquiétants et remplis de menaces qui l'entourent.

Tourné dans le Delaware, le village a été construit en 11 semaines, la véracité des étendues dans la plaine donne de la profondeur aux prises de vue, et optimise toutes les émotions à rendre. Et les sons, la musique font partie du décor, sont traités comme un personnage. La musique est l'oeuvre de James Newton Howard qui a fait appel à un véritable orchestre dans le studio d'enregistrement, ainsi qu'à la violoniste Hilary Hahn (24 ans), virtuose, faut-il le préciser ? Le violon donne sa voix d'angoisse, épouse avec émotion les sentiments très intérieurs que l'on éprouve à la découverte de ce film.
Hilary Hahn
Dans le bonus, il y a un chapitre sur le journal que tient l'actrice tenant le rôle d'Ivy (Bryce Dallas Howard) durant la période de tournage. Ce passage est de toute beauté. Je ne crois pas que ce ne soit qu'un artifice de marketing. J'y ressens de la sincérité, c'est très émouvant de voir des gens passionnés par leur métier.


Un mot aussi sur Sigourney Weaver, qui tient le rôle de la mère de Lucius, et que l'on aperçoit sur quelques plans. Elle est toujours sublime. Son visage présente une certaine "noblesse" de caractère, de l'intelligence, de la compassion. Une femme qui, je l'espère, se révèle de la même façon dans la vie. Ses rides font son charme, évidemment.

Malgré tout ce que je ressens de positif pour ce film, il y a des petites choses inexpliquées qui me laissent sur ma "faim". Je me demande pourquoi les autres adultes du village (ceux qui ne font pas partie du conseil) semblent ignorer tout de la vraie vie au-delà. Ils semblent ignorer que la présence des monstres dans la forêt (ceux dont on ne parle pas) est une supercherie destinée à renforcer l'unité de la communauté, l'empêcher de migrer vers le reste du monde, celui qui est "mauvais". Ils sont trop vieux pour être la progéniture des "anciens" du conseil... Alors d'où viennent-ils ? Ou alors, ils ont été bien plus nombreux à être venus créer la communauté que ceux que l'on découvre à la fin du film. Je me demande aussi, si une communauté peut réellement vivre en autarcie aussi longtemps. Ils n'échangent rien. Pas de commerce, pas d'industrie. Les tissus s'usent. Les bougies fondent. Les graines s'épuisent. Or, ils ont des vêtements, de la vaisselle, de la nourriture en abondance... Comment font-ils pour se ravitailler ? Il n'y a pas de mention du temps passé depuis le début de l'aventure, cependant, on peut estimer le début de la "réclusion" à 30 ans tout au plus : les anciens paraissent avoir la soixantaine, on peut supposer qu'ils avaient au moins 30 ans quand ils se sont mis d'accord pour mettre en application une "expérience grandeur nature" d'une nouvelle vie.

N'hésitez pas à apporter votre vision sur ce film, je suis très intéressée vous l'aurez compris !

(les photos de ce billet proviennent de mon DVD)