30 août 2009

Dentiste mystérieux à Manhattan - Woody ALLEN

Le livre

  • Date de Parution : 2007
  • Titre original : Mere Anarchy aux Editions Woody Allen
  • Traduction par Nicolas Richard pour Flammarion
  • Mon livre : Fascicule Librio 2009, imprimé en Italie par Grafita Veneta pour E.J.L
  • 70 pages


Le sujet

Manhattan. De nos jours. 9 nouvelles plus loufoques délirantes les unes que les autres.

Le verbe
Je me suis réveillé vendredi, mais comme l'univers est en expansion, il m'a fallu plus de temps que de coutume pour trouver ma robe de chambre. (p.14)
Mon complément

Un petit livre acheté (2 €) sans préméditation en farfouillant dans une petite librairie. Quel bonheur de lire Woody Allen, nous y trouvons tout ce qui fait ce pour quoi nous l'aimons : son humour, son air de se moquer de tout, et de ne croire en rien.

Ce que j'ai aimé : Tout ! Jugez un peu : chaque phrase est digne d'être rapportée en témoignage. Mais bon, j'ai trié un peu.
Comme nous le savons, Rome a pendant des siècles considéré le sandwich braisé à la dinde sauce hot comme le summum de la transgression ; de nombreux sandwichs ont pendant des siècles été privés de sauce hot et n'ont eu droit de s'embraser à nouveau qu'après la Réforme. (p.28)
ou encore :
Paula Pessary, entre temps devenue Mme Umlaut, fait irruption dans la pièce dans une robe Versace moulante qui épouse sa silhouette voluptueuse comme la chapelure une escalope panée.(p.51)
Ce que je n'ai pas aimé : Rien !

Nous entrons avec ce petit livre dans l'univers particulier et brodé de subtilité de mon Woody. Le titre indique Manhattan mais cela pourrait être ailleurs, pour peu qu'il y ait des paumés, des filous, des hommes et des femmes sans trop de scrupules.

Il s'agit donc de 9 nouvelles très courtes mais délicieuses, on se pourlèche, on salive, on se gave (rien à voir avec la dent monstrueuse de la couverture) : un petit livre à ne pas manquer, qui ne tient pas de place et qui vous apportera du bonheur pour presque pas un rond.

28 août 2009

Le jeu de l'ange - Carlos RUIZ ZAFÓN

Le livre
  • Date de Parution : 2008
  • Titre original : El juego del ángel
  • Traduction française par François Maspero (2009)
  • aux éditions Robert Laffont
  • 544 pages
Le sujet
Barcelone. Les années 20. Le jeune David Martìn succombe aux sirènes de la gloire lorsque, convaincu qu'il a un talent d'écrivain, il se met à croire qu'un jour il pourrait être reconnu. Mais c'est sans compter le milieu qui ridiculise le jeune ambitieux. Ajoutons à cet échec un amour malheureux, et voilà notre homme prêt pour le jeu de l'ange : un jeu diabolique qui consiste à gagner l'estime de certains mais à perdre son âme, peut-être...

Le verbe
J'ouvris les yeux. Des colonnes de pierre grosses comme des arbres montaient de la pénombre vers une voûte nue. Des rais de lumière poussièreuses tombaient en diagonales et laissaient entrevoir des rangées interminables de grabats. Des petites gouttes d'eau se détachaient d'en haut comme des larmes noires qui explosaient au sol en déclenchant un écho sonore. L'ombre empestait le moisi et l'humidité.
- Bienvenue au purgatoire. (p.88)
Mon complément
Un livre reçu "direct" de la maison d'édition Robert Laffont grâce aux volontaires de blog-O-book que je remercie pour cette heureuse initiative qui m'a tout de même empêché de dormir durant 2 nuits ! Il faut avouer que Zafón sait y faire et son 6ème roman est dans la même veine que le précédent que j'ai pu lire : on plonge dans sa prose comme un enfant dans une piscine à balles.

Comme dans L'ombre du vent, il est question du Cimetière des Livres Oubliés la bibliothèque labyrinthique (un endroit qu'il me tarde de connaître), de livres donc, et d'écrivain maudit. Les couvertures des livres sont également dans les mêmes tonalités, avec des enfants (un petit garçon pour L'Ombre, une fille pour L'Ange) menés vers leur destin par un homme, l'auteur bien sûr, le maître des histoires !

Le récit de L'ombre commence en 1945, là où s'achève celui de L'Ange : une sorte de boucle, ou plutôt, une spirale enroulée autour d'un même écho : que ne ferait-on pas pour laisser l'empreinte de son âme quelque part en ce monde ? Mais l'analogie s'arrête là.

Car notre nouveau héros est un nouveau Faust, un candide qui vend son âme au diable, rien de moins. C'est lui qui nous raconte son histoire à partir de ses 17 ans et durant sa descente aux enfers et contre tous.
  • Ce que j'ai aimé :
le style, l'humour (oui, il y en a !), la précision des scènes comme si j'étais aux premières loges, la touche gothique de la mise en scène zafonienne (des bougies, des feuilles mortes, les peaux pâles,...), l'autodérision de l'auteur vis à vis de nombreux thèmes : les succès littéraires, la religion, les croyances etc... Certains passages sont vraiment jubilatoires.
  • Ce que j'ai moins aimé :
Le patronyme du héros : David Martìn (pas assez original et pour nous francophones celui que l'on connait est un cuisinier médiatique..), quelques redondances qui finissent par être fâcheuses, la terrible naïveté de David, si nigaud que son comportement n'est pas du tout crédible, certaines scènes granguignolesques, voire sanguinolentes, le méchant pas si terrible au fond... (je ne peux en dire plus !) et, peut-être, la touche fantastique (là non plus je ne peux en dire plus !).
Malgré ses quelques points négatifs, j'ai quand même passé de bons moments avec ce livre que je recommande aux lecteurs qui aiment le surnaturel et les histoires extravagantes.

23 août 2009

Le petit copain - Donna TARTT


Le livre

  • Date de Parution : 2002
  • Titre original : The Little Friend
  • Edité en français en 2003 par Plon
  • Traduction par Anne Rabinovitch
  • Mon livre : rédition de 2004
  • 845 pages


Le sujet

Années 1970. Mississipi. Un jour de fête des mères dans l'endroit le plus sombre de sa cour, le jeune Robin, 9 ans, est retrouvé pendu à un arbre. Ce meurtre ne sera pas élucidé et la famille est à jamais marquée : la mère devient incapable de s'occuper de qui que ce soit, à commencer par elle même, le père part vivre dans un autre état et les deux jeunes soeurs alors âgées de 4 ans (Allison) et 6 mois (Harriet) grandissent dans le souvenir artificiel de ce grand frère méconnu qui faisait l'admiration de tous.

Douze ans plus tard, Harriet, poussée à se trouver un but dans la vie le trouve. Elle doit débusquer le meurtrier de son frère et se met à questionner son entourage : sa mère, Edie sa grand-mère, Ida sa chère nounou. Ses soupçons se portent bientôt sur Danny, un garçon qui jouait avec Robin en ce temps là. Un enfant pauvre qui peut-être, était jaloux de la famille et des jouets de Robin.

Le verbe
Chaque fois que Robin se rendait quelque part - en classe, chez un ami, ou chez Edie pour passer l'après-midi avec elle - il avait toujours pris soin de la saluer longuement, avec tendresse, selon un cérémonial particulier. Mille souvenirs lui revenaient, de petits mots écrits par lui, de baisers envoyés par la fenêtre, de sa main s'agitant vers elle depuis le siège arrière de voitures qui démarraient : au revoir ! au revoir ! Quand il était bébé, il avait appris à dire au revoir bien avant bonjour, c'était sa manière d'accueillir et de quitter les gens. Ce jour là, il n'y avait pas eu d'au revoir, et Charlotte jugeait cela singulièrement cruel. Trop distraite, elle n'avait gardé aucun souvenir précis des derniers mots qu'elle avait échangés avec Robin, ni même la dernière fois qu'elle l'avait vu, alors qu'elle avait besoin d'un élément concret, d'un souvenir ultime qui la prendrait par la main et l'accompagnerait - dans l'obscurité où elle titubait à présent - à travers le désert de l'existence qui se déployait soudain devant elle, entre le moment présent et la fin de la vie.
...
"Nous n'étions pas destinés à le garder, chérie. Il ne nous a jamais appartenu. Nous avons eu de la chance de l'avoir auprès de nous ces quelques années."
...
Elle songea que Libby avait dit la vérité. Et que, d'une étrange manière, depuis sa plus tendre enfance, Robin avait passé toute sa vie à essayer de lui dire au revoir. (p.20)
Mon complément :

Hum, que dire sinon trop. Trop de choses à dire, trop d'images, trop de bonheur. Enfin. Donna Tartt est une sorte de fée, une conscience qui entre en nous et crève tout ce qui est trop fragile, trop mou, trop sensible. C'est bon. John Irvin est de cette trempe. Ils vont bien ensemble. j'ai retrouvé dans cette histoire quelque chose de Owen.

Du haut de leurs douze ans, Harriet et son ami Hely entreprennent une chasse à l'homme. Il y a quelque chose de pathétique dans cette histoire d'enfants plus ou moins livrés à eux-mêmes, faisant face à leur promesse, leurs frayeurs, leurs secrets. Rois libres mais princes déchus, enfermés dans leur corps, dépendants et faibles. Ils doivent combattre le dragon avec des armes toutes émoussées.

De nombreuses références dans le monde de Donna :
  • Lewis Caroll :
    Ce n'était pas un vrai docteur - un médecin, s'entend - mais seulement un genre de chef de fanfare chrétienne auréolé de gloire ; un Américain de la côte Est avec d'épais sourcils broussailleux, et des longues dents de mule. C'était une huile du circuit de la jeunesse baptiste, et Adélaïde avait fait remarquer - à juste titre- que c'était le sosie parfait du célèbre dessin, par Tiennel, du Chapelier fou d'Alice au pays des merveilles. (p.528)
  • Sir James Matthew Barrie :
    Tu peux quitter cet endroit. En pensées. T'en aller, tout simplement. Qu'avait dit exactement Peter Pan à Wendy ? "Ferme les yeux et songe à des choses très agréables." (p.586)
  • David Lynch :
    Danny - trop défoncé et accablé pour parler - acquiesça. Il entendait toutes sortes de petits bruits effrayants : des arbres qui respiraient, des fils électriques qui chantaient, l'herbe qui crépitait en poussant. (p.686, scène ressemblant à Twin Peaks avec le murmure des fils électriques).
  • Terry Gilliam :
    lorsqu'il est question d'enfants abandonnés par des parents trop abrutis, ou trop défoncés pour pouvoir s'occuper d'eux (cf Tideland).
Les effets de la drogue sont par ailleurs très réalistes (cf.p.670).

D'autres passages émouvants et notés "à la volée" :
  • p 221 : la relation entre Harriet et Ida sa "nounou"
  • p 268 : quand Harriet regarde la photo de son frère dans l'album de classe
  • p 294 : où il est question d'Helen Keller
  • pa 303 : très drôle : "la barbe noire brousailleuse et la combinaison lui donnait l'apparence d'un dictateur fou d'Amérique du Sud"
  • p 687 : très amusant aussi la scène du berlingot à la main identique antre le réel et le dessin animé.
Si comme moi, vous vous êtes demandé ce qu'était le Sanka (la boisson que boit Adélaïde car elle ne supporte plus le café) ne cherchez plus : il s'agit d'une boisson décaféïnée (on s'en doutait un peu, mais quand même). Je n'avais jamais entendu parler de ce produit apparemment encore vendu et j'ai trouvé une affiche "d'époque" que j'aime beaucoup :

Je disais qu'il y avait trop à dire. C'est vrai mais je n'en dirai pas plus. Sauf que Donna sait vraiment tenir en laisse son lecteur, elle le dresse et nous lui donnons la patte, reconnaissant de tant de miséricorde, des personnages aboutis que l'on sonde dans l'âme, que l'on a du mal à quitter, avec lesquels on vivra jusqu'à la fin de la vie. Je songe à Robin, Ida Rhew, Harriet et Hely, Danny - le petit copain-, Curtis son petit frère, Odean la petite souillon qui ressemble à une pauvre plante sur laquelle est greffée sa fratrie à l'instar d'une colonie de pucerons.

Et même si la fin nous laisse sur notre faim, nous sommes rassasiés. Car le pouvoir d'un livre est peut-être celui de ne jamais nous quitter, de nous imbiber, de nous hanter.

22 août 2009

Nouveaux Indiens - Jocelyn BONNERAVE


Le livre
Date de Parution : 2009
Editions : Seuil
170 pages

Le sujet

Californie. Fin 2004. Un chercheur français en anthropologie a traversé l'Atlantique pour étudier le comportement de musiciens d'orchestre dans la classe de Frank Firth qu'il admire. Sur le campus où il vit, son exploration dans le monde des musiciens est chamboulée dès l'instant où il va chercher à comprendre ce qui est arrivé à Mary, cette jeune danseuse pleine de vie qui a perdu du poids bien soudainement, et qui en est morte.

Le verbe
Mary-Teresa s'installe mais il faut que je pisse. Silence. Depuis les toilettes à côté, tout s'étouffe dès que je ferme, mais j'entends quand même. Elle a branché un vrai fourbi sur le violoncelle et joue la forêt à elle seule, la pique reliée aux racines voisines qui pompent le son vers les hauteurs. Grâce à une pédale électronique, Tree met en boucle des petits morceaux de ce qu'elle vient de jouer : elle pousse la musique en avant et puis d'un coup ça repart vers l'amont, comme un jeune saumon. Deux secondes, juste deux secondes je ferme les yeux pas pour dormir juste pour me reposer, le violoncelle bourgeonne sous le ciel clair. Son truc elle l'a branché avec toutes ces boucles ça tourne. Tree sait se connecter à tous les arbres depuis son truc en bois. Tree, c'est toute la forêt qui résonne sous du crin de cheval, de quoi ne plus voir où sont les cieux pousse en avant et puis d'un seul coup ça avec quel plaisir ça grâce à sarment baie qui coule par ici la sortie. Pipi fini ouvrir les yeux, refermer la braguette bouton après bouton, verrou déverrouillé, bouton de porte, j'ouvre la porte. (p.60)
Mon complément
Un livre cadeau de la part de Suzanne de http://www.chez-les-filles.com/

Voilà un roman qui n'en est pas un. Je m'explique. C'est un roman d'un nouveau type : un roman qui slame, une prose expérimentale comme la musique dont il parle. Le début, très bien, j'étais super contente, c'est que l'auteur est complexe : écrivain, anthropologue, comme A. son héros, et musicien à ses heures perdues. Puis, très vite ça part en "live", le style se découd un peu, notre héros souffre du décalage horaire et fatigue : ses mots s'empâtent car nous lisons au rythme de ses émotions.

Une lecture tout de même intéressante : nous avons hâte de découvrir ce que va finir par trouver notre chercheur. Les nouveaux américains sont un brin fêlés, comprimés par un passé d'abattoirs : esclavagisme, éradication des indiens d'origine, ils sont gavés de toutes les turpitudes de leurs ancêtres, et cherchent à se tourner vers de nouveaux moyens de rédemption.

Quel moyen a trouvé la jeune Mary au cours de son voyage d'étude au Paraguay dans la tribu chez les indiens Guayaki qui mangent leurs mort ?

Ce roman est également "autre" par sa construction : nous avons affaire à une forme épistolaire qui nous rapproche de A., de ses angoisses, de ses gueules de bois, de ses errances, de ses coups de foudre et de ses coups de rein. Nous sommes parfois tellement proches que nous tenons la chandelle quand il s'envoie en l'air avec sa petite copine très coquine (passages très "sexe" vers les pages 112-113).

C'est aussi un roman sonore puisqu'il est question de répétitions, d'improvisation au sein du groupe d'orchestre ; A. en a l'esprit tout assourdi et se retrouve régulièrement avec des maux de tête qui donnent lieu à des délires verbaux.

Au final, je dirais que c'est un roman d'un genre expérimental comme la musique dont il est souvent question.

L'histoire maintenant. Originale c'est sûr, nous sommes vraiment emportés par le mystère qui entoure le secret de Mary, mais je n'ai pas été convaincue par le martyre de Mary, je n'ai aucun goût pour les solutions extrêmes.

S'il est effectivement question de la campagne présidentielle Bush-Kerry, celle-ci n'est pas vraiment l'essentiel et ne sert de prétexte qu'à quelques jeux de mots, à dessiner aussi une ambiance utile au héros (affiches recouvertes par d'autres, etc...).

Si je n'ai pas aimé certains passages qui m'ont mise mal à l'aise (scène de zizi-pipi, de pipi avalé et j'en passe...) je salue néanmoins le courage de l'auteur (ou la folie ?) de s'attaquer à des sujets hors des sentiers battus, de semer ici et là quelques unes de ses références, mais il faut penser à ne pas trop brouiller les cartes.

A propos de références, il me semble que son personnage de Rose Budd, la clocharde au collier d'ambre, est un clin d'oeil au groupe Rosebudd, mais je me trompe peut-être ? En tout cas, cela ne m'étonnerait pas que Bonnerave aime à brouiller les pistes.

Pour conclure, un extrait que j'aime beaucoup (mais il y a d'autres passages plus ou moins bien léchés !)
Je crois qu'on peut agir, plus que sur les âmes, sur les fictions : il suffit d'en produire d'autres. Elles viendront travailler celles qui nous font souffrir, les ruiner peut-être. (p.169)
Quelques sites en lien avec ce billet :

21 août 2009

Un jardin à Paris


J'arrive à Paris par un jardin. Bien sûr, il n'est pas de ceux qui donnent envie de se rouler, de s'attarder à rêver ou à attendre, mais il est mon jardin secret. Ce qui l'entoure est presque mort ou en voie de disparition. Des arbres en tronçons, des insectes cachés qui peinent à bourdonner quelque part à côté des moteurs de la chaussée. Des fleurs sauvages comme des baisers. Les ombres déjà n’existent plus, elles dansent au fond d'un café qui commence à refroidir sur une table de cuisine. Les rues happent comme des bouches affamées le voyageur encore endormi, il cligne des paupières en sortant sa petite carte magique qui, comme un scalpel, taille sa route dans le ventre de Paris. Je vais le nez au vent, j'aime marcher ainsi, à savoir où je vais, pas très loin, juste assez pour se débarrasser des envies, des désirs, aussi vite que possible, comme il est nécessaire d'éternuer sans attendre quand une poussière vous chatouille la narine. Le long de mon jardin, je retrouve un petit peu l'odeur du raidillon qui serpente dans ce pays dans l'ombre de ma jeunesse, et j'ai l'impression qu'au bout du chemin je respire déjà mieux.

10 août 2009

Un léopard sur le garrot - Jean-Christophe RUFIN

Le livre
Date de Parution : 2008
Editions Gallimard / Folio
317 pages


Le sujet

Ambassadeur au Sénégal, Jean-Christophe Rufin prend la plume pour raconter par quels chemins de traverse il est parvenu à ce poste. Petit garçon impressionné par son grand-père médecin qui incarne une sorte d'idéal, il devient à son tour docteur en médecine. Mais cela ne lui suffit pas, il veut "toucher le monde" et s'engage dans la toute nouvelle organisation humanitaire "Médecins sans frontière". Eternel étudiant, il fait "Science Po", devient attaché culturel et de coopération, et, pour finir, ambassadeur, poste duquel il entreprend de raconter son histoire, car notre homme se plait aussi à être romancier.

 Le verbe

Ce qui s'acquiert dans les morgues, c'est une vision complète des corps, de son dedans comme de son dehors, de son état inerte comme de état palpitant. Les médecins, à cause de ces moments de familiarité avec le cadavre, savent que le corps n'est pas seulement la disposition souple et chaude d'organes, de fonctions et de sens. Ils savent que la vie est un état fragile et rare, l'improbable mise en mouvement d'une molle horlogerie de chair, si désespérante à contempler quand elle est jetée en tas au fond d'un bassin d'émail. (p 115)
Mon complément
Je désirais lire cette biographie depuis sa sortie, et puis...vous savez ce que c'est : le choix, son embarras, le temps passe. Et le livre sort en "poche", ou plutôt en Folio, et hop, on l'empoche. C'est étrange, dans ce livre, le docteur Rufin parle des lecteurs qui se souviennent de ses livres, et pas de son nom. Pour ma part, j'ai le souvenir de son nom avec ce bouquin, je n'avais rien lu d'autre, et pourtant, j'ai dans ma bibliothèque "le parfum d'Adam", que je n'ai pas encore lu.

Le livre est pour moi en deux parties à peu près égales : le début évoque sa carrière médicale, c'est celle que j'ai trouvé passionnante, la seconde moitié du livre témoigne de son engagement humanitaire, que j'ai eu plus de mal à suivre, ayant souvent l'impression de répétitions. Peut-être parce que le récit n'est pas entièrement chronologique. De plus, les querelles intestines des associations humanitaires sont vraiment lassantes, trop d'égo, pas assez d'aptitude à parvenir à un but. Un peu comme la politique au fond.

Rufin se sent prisonnier de la médecine et désire aller au-delà, dans cet endroit secret, le futur, simplement être "dans la vie" et témoigner, au travers d'essais, de chroniques, de fictions. Rufin est une sorte de navigateur, toujours à chercher un nouveau port.

Dans cette biographie, j'ai trouvé le style assez facile à lire (Rufin a reçu le prix Goncourt en 2001 pour son roman Rouge Brésil), pas de mots compliqués ou de principes complexes, j'ai noté de belles formules :
Sur son grand-père
Je n'ai pas adressé dix phrases dans toute mon enfance à ce personnage hiératique. Cela ne m'importe guère. On peut consacrer sa vie à un dieu dont on n'a jamais entendu la voix.
...
Il a fallu plusieurs morts dont la sienne, des héritages, le dépouillement solitaire de vieux papiers et de photos pour que se construise l'image sinon complète du moins précise que j'ai du personnage désormais.
J'ai également noté un travail amusant car Rufin compare à plusieurs reprises la médecine et la religion :
Quand j'arrivais dans la maison de mes grands-parents, les lustres de la médecine étaient presque éteints. Ne restaient plus que des instruments morts et la petite lumière du bureau pour indiquer que le lieu était toujours consacré. (p.36)

Les patients m'écoutaient et, quoique ma compétence n'eût pas progressé, bien au contraire, ils étaient prêts à accepter sans murmurer tous mes oracles...(p.65)

Les internes, peu nombreux et choisis, pouvaient, eux, prétendre au titre enviable de disciple. (p.73)

...apaiser les douleurs et les angoisses comme un faiseur de miracles qui impose les mains, tout cela ne laisse pas d'être grisant. (p.80)

Face à un problème, les réponses sortent automatiquement, comme la voix d'un oracle qui serait désormais enfoui en vous et dont vous seriez devenu la bouche d'or. (p.83)

Tout jeune et inexpérimenté que je fusse, je ressentais en moi et autour de moi les signes troublants de ce sacerdoce. (p.102)

...le médecin a d'autres rendez-vous avec la mort.
D'abord, c'est lui qui la déclare. Ce pouvoir est le coeur de sa fonction, la part sacerdotale et mystérieuse de ce métier. (p.108)

Trente ans plus tard, je sens encore sur mes doigts le contact gélatineux de ces yeux sans vie. Il est comme la marque d'un mystérieux chrême dont j'aurai été baptisé. Cette onction a fait de moi, quoi que je devienne jamais, un desservant de ce culte étrange, plus proche des grandes terreurs de la préhistoire que des récentes conquêtes de la science, et qui a pour nom médecine. (p.111)
Rufin a de l'humour :
Les traditions s'imposent à tout "collègue" (ainsi les internes se nomment-ils entre eux, par opposition aux médecins non internes qui sont seulement des "confrères" et aux anciens internes plus âgés, qui sont désignés sous le vocable flatteur de "fossile"). (p.84)
Pour achever ce billet, je dirai que j'ai bien aimé la partie consacrée à la médecine, moins celle expliquant sa quête d'humanitaire, que je trouve plus édulcorée. Rufin passe très rapidement sur sa vie privée, tout en évoquant quelques fois ses mariages ou ses enfants, mais tout cela reste secondaire dans le récit, alors que la famille est le premier témoin et le premier catalyseur de nos actes et de nos choix. Tout cela laisse un sentiment bancal : il en dit trop et parfois pas assez pour comprendre son cheminement intellectuel. J'ai également trouvé un peu soudain et forcé le trait de son appétence pour l'écriture qui est mis en scène vers la fin avec le défilé de toute sa production, là encore, on a une impression trop rapide de sa carrière littéraire.

Un livre qui m'a donné très envie de découvrir Rufin romancier :
La fiction est un mode d'expression qui s'offre à moi comme un collecteur naturel d'expériences et de sensations. Tout est matière à nourrir ma production romanesque par un processus d'enfouissement et de resurgence, d'oubli et de remémoration. Je n'éprouve plus cette tension douloureuse qui, autrefois, me donnait, quand j'écrivais, l'impression de ne pas vivre et quand je vivais de négliger l'écriture. En somme je suis capable de perdre mon temps. Je sais que ce temps perdu rejaillira quand il sera convoqué par l'imaginaire. Il prendra une réalité dans des fictions à venir. Il trouvera sa vérité dans le mesonge d'une intrigue. (p.306)
Je suis tout à fait d'accord avec cela.

Un mot sur le titre qui, avouons-le, reste énigmatique (et c'est ce qui m'a attirée dès le début). Il emprunte une image à Léopold Sédar Senghor, celle d'un cheval fou attrapé au garrot par un léopard, un être ruant dans les brancards (j'ose l'image...), une créature inapaisée, affamée de tout et de tous, et peut-être aussi, de ses propres désirs.

07 août 2009

Carrefour

Nous ne savons pas où elle va, sans doute mue par un élan démonstratif et expressif. Elle arpente sa jeunesse comme il est d'usage de naviguer d'un port à l'autre lorsque les ancres se détachent. Nous ne pensons pas à la retenir, cela serait stérile et nous voulons une réplique de nous même, en plus grand, en plus démesuré n'est-ce pas ? Ce que nous voyons alors ne ressemble à rien de ce qui nous tranquillise. Mais il faut faire confiance. S'adapter à la situation. Nous sommes conquis par de nouveaux petits morceaux de monde qui se détachent et qui tombent à nos pieds. Nous les observons comme la graine du haricot magique. Nous les suivons des yeux. Nous en espérons de belles choses. Notre engouement est ce métronome qui redonne à notre cœur toute sa mesure. Nous nous sentons vivre. Auprès de nous, cette petite âme à laquelle nous sommes tellement habitués qu’elle est inaudible parle d'une nouvelle manière. Sur le trait de l'arrivée, au détour d'un carrefour, nous agitons la main et attendons qu'elle nous la prenne.

06 août 2009

Hotel Iris - Yoko OGAWA

Le livre
  • Date de Parution : 1996
  • Titre original : Hoteru Airisu
  • Editions Actes sud pour l'édition française
  • Traduction par Rose-Marie Makino-Fayolle
  • 235 pages
Le sujet
Mari, une jeune fille de 17 ans, qui craint sa mère autoritaire, devient la proie consentante d'un homme âgé qui fait d'elle un objet érotique, en l'attachant et en l'humiliant.

Le verbe

Le matin, en me rasant, je ne me rends pas compte que ma main s'interrompt et, toujours pleine de mousse, se met à caresser tendrement le miroir.
Mon complément
Malgré le sujet quelque peu scabreux, pour ne pas dire licencieux, je dois reconnaître à Ogawa une incroyable délicatesse. Je classe ce roman dans la catégorie "recherché", car pour moi le sujet est sophistiqué, atypique, de plus, le style est incroyablement maîtrisé : une profondeur se dégage de tout ce qu'il y a à dire. Mari est complètement subjuguée par l'homme qui la rudoie et l'humilie, mais elle en tire une jouissance impossible à raisonner.
J'aurais dû avoir mal partout. Cependant je ne sentais rien. Mes nerfs s'étaient désespérement noués quelque part. La douleur qu'il me procurait libérait une douce langueur dès qu'elle franchissait la barrière de ma peau.
Même ficelée et accrochée au plafond, elle trouve dans son reflet une certaine esthétique de la mort, comme si la mort n'était pas si terrible au fond. L'homme, traducteur de russe, est meurtri par un drame passé et navigue en eaux troubles exposant deux flancs comme un bateau fou : sa délicatesse, sa prose touchante et son obsession pour les foulards autour du cou des femmes. Un livre qui laisse une certaine gêne car certaines scènes sont plus que luxurieuses, je note que Ogawa n'est jamais pornographique ; les rapports décrits du point de vue de Mari, bien qu'outrageux, sont ressentis comme une sorte de bénédiction.
Mari existe, Mari est aimée, pour le meilleur et pour le pire.

Une histoire assurément extravagante, un genre de Lolita revue à la japonaise, que j'ai lue un peu avec méfiance je l'avoue, sachant à quoi m'en tenir pour avoir lu des avis plutôt négatifs sur ce roman, mais une histoire de laquelle j'ai quand même retiré une chose : l'assurance que Ogawa est une auteure d'exception, quoiqu'elle écrive.

02 août 2009

La harpe irlandaise - Germaine BEAUMONT


Le livre

Date de Parution : 1941, aux éditions Plon

mon livre :
Editions France loisirs 2006
300 pages (pour ce récit, le livre contient deux autres non lus à ce jour)
Préface d'Hélène Fau, présidente de l'association des amis de l'auteure

Le sujet

France. Dans la région de Maintenon (20 km de Chartres). Les années 1940. Laura, une veuve cinquantenaire un peu fantasque découvre par hasard et intuition l'existence de la fille d'Edmont, son mari mort prématurément dans un accident de voiture. Tout d'abord, elle a une vision du fantôme d'Edmond, puis elle découvre une maison abandonnée à vendre, et surtout une singulière boîte poussièreuse chez un antiquaire, laquelle se révèle être une précieuse boîte à peintures en marqueterie ornée du symbole de la harpe irlandaise.

Le verbe
Elle scrutait de ses yeux perspicaces les traits de Laura, subitement tirés par la fatigue de la route et la migraine et peut-être aussi, à cause de tout ce qui épuise l'âme, sans que le corps s'en doute. (p.69)
Mon complément
Découverte de cette auteure à travers un livre acheté il y a quelques années chez France Loisirs. J'avoue être tombée sous le charme de cet écrivain, la "fille choisie" de Colette (découvrir les liens en bas de ce billet pour en savoir plus). Il est question d'un secret qu'une grande rêveuse un peu craintive et superstitieuse parvient à découvrir en rompant un silence de 20 ans. Je dirais que c'est un roman un peu à "l'eau de roses" : un roman pour jeunes filles, et en même temps, il y souffle un charme peut-être plus vénéneux : certes, il est question d'apparitions, d'un fantôme qui revient achever un rêve d'amour perdu et qui peut approcher l'esprit tourmenté de sa femme. J'ai également entrevu l'idée de l'amitié féminine (et plus ?), suggérée entre Rolande et Flore. Rolande, la riche propriétaire, à la quarantaine élégante et affectée qui s'ennuie et Flore, la cousine d'Edmond, le mari de Laura, vieille fille indépendante, volontaire, voire un peu masculine tant elle ressemble à son cousin lorsqu'elle porte son peignoir.

Il y a un petit air des héros d'Agatha Christie, dont Germaine Beaumont était une admiratrice. Je poursuivrai certainement dans les prochains mois la lecture de mon livre avec Les Clefs, puis Agnès de Rien, car reprenant le travail demain, je vais plutôt choisir dans ma pal un livre moins lourd à transporter dans mon sac...

Quelques liens en rapport avec ce billet :