29 décembre 2008

Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles - Gyles BRANDRETH

Un livre édité en 2007 sous le titre "Oscar Wilde and the Candlelight Murders"
paru en français aux éditions 10 - 18 Grands détectives

Le sujet
Londres, 1889. Robert Sherard, le narrateur, poète et ami d'Oscar Wilde l'assiste dans une affaire délicate : son mentor a découvert Billy Wood, un jeune homme de 16 ans, égorgé selon ce qui semble être un rituel sacrificiel : son corps nu est retrouvé entouré de chandelles. Sur le coup de l'émotion Wilde s'enfuit, mais le lendemain, lorsqu'il retourne dans la chambre, le corps a disparu et nulle trace de sang. Sans corps, la police ne semble pas vouloir mener d'enquête, Oscar Wilde décide donc de découvrir lui-même l'assassin du jeune Billy.

Le verbe
C’est Dickens qui a mis Broadstairs sur la carte. C’est là qu’il a écrit David Copperfield, dans une villa sur les falaises qui, naturellement, porte aujourd’hui le nom glorieux de Maison d’Âpre-Vent. Si le cœur vous en dit, vous pourrez vous y rendre. La visite guidée coûte deux pence. Et au moment où vous arriverez à la pièce où travaillait le grand homme, on vous récitera cette phrase légendaire : « Laisser un mot pour Mr.Dickens dans le premier tiroir de son bureau et il viendra le lire cette nuit. » (p.97)
Mon complément
Un livre cadeau reçu de la part de Sylvie dans le cadre du Victorian Christmas swap.
Nous devons être les amis de ceux qui n’en ont pas (p.58)
Par cette phrase, Oscar Wilde annonce son intention : puisque la police, et plus particulièrement l'inspecteur Aidan Fraser que lui a chaudement recommandé son ami Arthur Doyle, ne peut pas, ou ne veut pas enquêter sur la mort et la disparition du pauvre Billy Wood, un jeune garçon de ses amis, un élève auquel il apprenait la lecture et le théâtre, il va mener son enquête, et parvenir à retrouver le(s) coupable(s).

Autour de lui :
- Robert Sherard (qui sera notre narrateur sour la plume de Brandreth)
- le docteur Arthur Conan Doyle (un ami de Wilde aux conseils avisés et aussi l'auteur des aventures de Sherlock Holmes dont il est question dans ce roman)
ainsi que des personnages un peu plus romancés :
- Veronica Sutherland (la fiancée de Fraser, une femme affolante qui tourne la tête de Sherard),
- la mère du jeune Billy,
- son oncle : une brute avinée, de jeunes espions londoniens qui ont des airs de David Coperfield
- les romans sont aussi des personnages : Oscar Wilde est en train d'écrire le "Portrait de Dorian Gray", ce qui suscite une remarque au sujet de Millais, que l'on croise aussi et du portrait de Sophie Gray.

Je découvre Wilde. Enfin, pas tout à fait, c'est mieux : c'est Oscar Wilde dans une pseudo réalité, je vous assure qu'on l'on pourrait se croire dans les rues de Londres, à prendre le cab et à boire du Champagne. Nous entrons à pas feutrés à l'Albemarle, le Club d'Oscar Wilde :
Albemarle Street, London
De l'enquête, je ne veut rien dévoiler ; personnellement, je pense que l'intérêt du roman est plus dans la découverte du monde victorien que celui d'une énigme policière à laquelle il est difficile de croire vu les invraisemblances. Peut-on imaginer un Oscar Wilde s'enfuir d'une scène de crime et n'y revenir que le lendemain en trouvant la force de vivre normalement entre temps ?

Pour le reste, tout y est : les auteurs, les acteurs, les endroits, la mode, la condition de la femme, tout est brossé avec élégance et finesse.
- C'est la vérité, rétorqua vivement Miss Sutherland. Vous, Aidan, et le Dr Doyle, ainsi que Mr. Wilde et Mr. Sherard, avez tous bénéficié d'une éducation universitaire. Pourquoi ? Parce que vous êtes des hommes. On me la refuse. Pourquoi ? Parce que je suis une femme. C'est consternant. Révoltant même ! Et cela ne suscite chez vous pas la moindre réaction, excepté des rires ! Les seules femmes autorisées à pénétrer à l'intérieur de nos sacro-saintes et vénérables universités, ce sont les femmes de ménage et les maîtresses. C'est scandaleux, Aidan, et vous le savez bien. (p.152)
Il est, bien entendu, question d'homosexualité, celle d'Oscar Wilde en filigrane, quand l'auteur y fait allusion, mais dans le récit qui nous occupe, Wilde n'est pas encore de ce bord, quelques personnages, franchement présentés comme homosexuels, dont le pauvre Billy.
La saynète que jouait nos amis n'était que le fruit de leur imagination, peut-être l'histoire d'un prêtre et de son disciple. Le hiérophante prépare le jeune myste en lui rasant le corps avant de l'oindre d'huile sacrée. Le rasoir participe à l'acte de purification... Et la purification précède à la consommation.
- C'est barbare !
- Barbare ? Pas du tout. C'est très anglais. Ou devrais-je dire Britannique ?
Je dois avouer que Brandreth fait preuve du légendaire humour britannique lui aussi.

Quelques tableaux dont il est question :
Dante dessinant un ange
à l’anniversaire de la mort de Beatrice
-Rosseti-
Sophie Gray (qui ressemble à Veronica Sutherland)
-Millais-

Une belle lecture, un véritable condensé de "victorian" attitude !

Le rapport Gabriel - Jean d'ORMESSON

Un livre édité en 1999 aux éditions Gallimard
426 pages

Le sujet
Dieu est en pétard contre les hommes. Il décide d’en finir avec ses créatures et pour cela d’arrêter le temps. Gabriel s’y oppose. Dieu l’envoie auprès des hommes et des merveilles de la Terre, et lui demande de revenir avec un rapport qui pourrait le convaincre de ne pas les anéantir. Gabriel atterrit auprès du narrateur, Jean d’Ormesson lui-même, censé lui démontrer que l’humanité vaut la peine d’être sauvée.

Le verbe
J’ai cessé d’espérer. L’orgueil, le plaisir, le mal ont pour eux des charmes que je ne peux plus combattre. Je n’ai aucune intention de les abandonner à un mal que je n’ai pas vaincu pour rien. Je me propose d’arrêter le temps et de détruire le monde pour supprimer du même coup et les hommes et le mal. (p.31)

Les hommes sont aussi passagers que l’histoire, que leurs croyances successives, que leurs sociétés, que leurs empires, que leurs maisons et leurs vêtements : ils sont un miracle qui ne durera pas, une merveille évanescente. Ils brillent quelques millions d’années, et puis ils disparaissent. Ils étaient des agnathes, des reptiles, des primates. Ils seront des machines et des robots. Ils étaient des monstres : ils seront des monstres. (p.43)
Mon complément
Impression mitigée. Jean d'Ormesson est un homme que j'admire beaucoup, j'adore le voir à la télé : j'aime l'entendre et je l'écoute avec déférence, pour autant, je trouve que ces livres manquent un peu de suspens. Jean D’Ormesson a certes une belle écriture, je veux dire que ce qu’il écrit est recherché, sobre, percutant, mais que l’histoire en elle-même est lassante. Peut-être parce qu’elle est un peu trop centré sur l’auteur lui-même, que ce livre est une occasion de plus d’être une sorte de biographie de l’auteur (mais pas du tout un roman comme il est annoncé sur la couverture). C'est un patchwork cousu de fil blanc (les anges !) : des bribes d’instants passés côtoient le présent, on a vraiment l’impression de plonger la tête dans une bassine remplie de pensines comme dans le bureau d'Albus Dumbledore, mais sans surprise.

Dieu ordonne donc à son archange d'aller voir de plus près (en voilà une belle fiction !) :
Va, une nouvelle fois, à la rencontre des hommes. Observe ce qu’ils font. Et puis reviens me voir, ton rapport sous le bras. (p.50)
J'ai trouvé pénible, pour ne pas dire agaçant le chapelet d’adjectifs tels que "précieux", "délicieux", "merveilleux", ce qui donne l'impression qu'avec d'Ormesson tout le monde, même les personnages les plus vils, ont l'air d'enfants de coeur, ou sont en train de commander leur thé de Cinq heures, comme il se doit. Je n'ai pas aimé les passages non traduits, en latin et autres, ce qui gâche vraiment la lecture.

J'ai bien aimé ce passage où Jean d’Ormesson se souvient du chauffeur de son père, disparu pendant la guerre, peut-être dans une abomination.
Qu’est-il devenu après nous dans les tourmentes de l’histoire ? Tombé dans les neiges de Russie ? Enterré dans les sables de Tobrouk ou de Marsa-Matrouh ? Poignardé peut-être par un français dans le métro de Paris ? Ecrasé sous les bombes à Hambourg ou à Dresde en 1944 ou en 1945 ? Pris dans les décombres de Berlin à la chute de ce IIIè Reich qui devait durer mille ans ? Décapité à la hache par les bourreaux de Hitler comme le jeune Conrad von Hohenfels dans le roman de Fred Uhlman, "L’Ami retrouvé" ? Que cette page soit pour lui comme quelques fleurs sur sa tombe. (p.69)
Il est aussi question du "machin", on ne sait pas trop ce que c’est : l’Unesco ? Ce n’est pas très clair, un romancier se doit d'être compréhensible.

Et comme d'Ormesson est une véritable encyclopédie, on parcourt les continents, sauf l'Afrique si je ne m'abuse. On navigue vers Venise, on aperçoit des tableaux de maîtres, comme celui-ci :
Présentation de Marie au Temple
-Le Titien, 1534-
Une belle lecture mais pas un roman à proprement parler, plutôt un condensé de souvenirs.

28 décembre 2008

L'horloge magique (1928)

Réalisateur : Ladislas Starewitch
Genre : film muet et objets animés
Année : 1928



Quelle est l'histoire ?

Sous les yeux de Nina sa fille, un horloger fabrique une mystérieuse horloge habitée d'un royaume médiéval : un roi, son fou, une princesse, douze chevaliers et même un dragon qui avale tout se qui se présente.

Le chevalier Bertrand l'affronte, la princesse est fort aise et lui lance une fleur depuis son balcon pour récompense. Mais le chevalier Noir surgit de nulle part et ramasse la rose : la princesse s'évanouit. Les douze chevaliers doivent reprendre la fleur et affrontent l'un après l'autre le chevalier Noir, tous succombent. Le tour de Bertrand arrive, le chevalier Noir (la Mort) est sur le point d'anéantir Bertrand mais Nina stoppe les aiguilles de l'horloge magique. Quelle folie ! Tout s'arrête, les rouages se déglinguent dans l'horloge.

La nuit tombe, Nina rêve : elle pénètre dans un royaume inconnu et poursuit l'histoire. Et retrouve le chevalier Bertrand...


Mon avis :
Un pur enchantement ! J'ai reçu ce livre-dvd de la part de ma chère Céline à qui je dois beaucoup de belles découvertes dans le monde onirique. Un film que je partage avec mon fils (5 ans) qui ne se lasse pas, et moi avec, de le regarder, encore et encore. Dans ce film, trois mondes se succèdent au travers de Nina la rêveuse : l'atelier de son père (la réalité), la cité médiévale qui se cache dans l'horloge (l'imagination) et la forêt des rêves lorsque Nina dort. Trois mondes qui s'enchaînent au fil du temps.

A noter :
La voix de Rufus qui acccompagne le récit de ce film muet

et la chanson à la fin du dvd, superbe de poésie, interprétée par Galaïs (paroles de Jean Rubak et Dominique Pernoo, musique de Jean-Marie Sénia).


Images du film fabriquées par mes soins dans le but d'illustrer ce billet.

Phenomenes (2008)


Réalisateur : M. Night Shyamalan
Genre : épouvante fantastique
Année : 2008




Je trouve que des scènes peuvent choquer les spectateurs les plus sensibles.


Quelle est l'histoire ?
De nos jours. New York. Les humains sont soudainement poussés au suicide. Très vite, un scientifique explique que la Terre se révolte (rien que cela !) et décide d'éliminer les parasites que sont les hommes. La toxine qui oblige les humains à se suicider est libérée par les végétaux et se propage par le vent. La propagation est concentrée sur l'est des Etats-unis et va durer moins d'une journée. A la fin du film, un scientifique explique que la supposition selon laquelle la Terre donne un avertissement avant une forme plus grande de catastrophe ne pourra être confirmée que si le phénomène se reproduit à un autre endroit du globe. Dernière scène : Paris, les Tuileries, et voilà que les mêmes scènes de suicide recommencent...

Mon avis
Quelle déception ! Franchement, ce film est nullissime (pardon mais ce n'est que mon avis de spectatrice n'est-ce pas ? ). Les acteurs sont mauvais, à part la vieille folle dans sa campagne qui joue admirablement la possédée. Les scènes sont baclées, ainsi justement la vieille folle, on se demande pourquoi elle garde une poupée sur le lit, la psychologie des personnages est complètement survolée, vous me direz que tout le monde meure, ou presque, alors pourquoi se fouler ?
Non, si vous désirez voir un bon film de Shyamalan, louez ou achetez Le village !!!

13 décembre 2008

Jeunesse - Joseph CONRAD

Une nouvelle de 74 pages
publiée en 1898 sous le titre "Youth"

Le sujet
Un bar, une bouteille de Bordeaux, des amis attablés, et l'un d'entre eux, Marlow, un marin d'une quarantaine d'années se souvient : il avait à peine vingt ans et à Londres, il embarquait sur le Judée, en direction de l'Orient. Bangkok. La grande aventure. Mais le bateau subit de nombreuses avaries, et il lui faudra toutes les ressources de la jeunesse pour affronter les éléments.

Le verbe
Bon Dieu ! C'est une sacrée aventure,- comme on en voit dans les livres ; et c'est ma première traversée comme lieutenant - et je n'ai que vingt ans - et voilà que je tiens le coup aussi bien que n'importe lequel de ces hommes, et mes gars sont à la hauteur de leur tâche grâce à moi. J'étais content. Je n'aurais renoncé à cette expérience pour rien au monde. Je connaissais des instants d'exultation. Chaque fois que le vieux rafiot démantibulé se plantait dans un creux, avec sa voûte d'arcasse dressée en l'air, il me semblait qu'il lançait comme un appel, comme un défi, comme un cri, aux nuages impitoyables, les mots écrits sur sa poupe : "Judée", Londres. Vaincre ou périr. (p.32)

Mon complément
Un livre cadeau reçu de la part de Sylvie dans le cadre du Victorian Christmas swap. Je découvre Conrad. J'adore cette histoire de jeunesse où il met en scène Marlow, une sorte de double. Cela me fait songer à Auster. Dans la préface, il semble que Marlow est un personnage récurrent, je ne sais. Je vais me renseigner, mais je sais aussi que trouver un renseignement adéquat sur internet demande beaucoup de recherche. Je ne suis pas pressée. Je vais en quelque sorte partir à la chasse au trésor. Imaginez, je n'ai jamais entendu parler de cet auteur avant ce swap !

Le jeune Marlow est incroyablement opiniâtre et confiant en sa propre nature. Il a hâte de démontrer ses capacités de marin, et l'occasion lui est donnée lorsque le feu se déclare dans la soute du Judée. Les nombreuses avaries, les nombreux retours en Angleterre pour les réparations à entreprendre, rien ne va émousser l'aiguisement de son appétit à l'aventure. De nombreuses descriptions du bateau : les habitués du salon nautique se sentiront dans leur élément, les autres comme moi imagineront grâce aux notes de bas de page fort utiles.

Jeunesse est une odyssée à juste titre ; ce voyage qu'entreprend Marlow fait plus que "former la jeunesse", il en use, s'en nourrit, sans elle, point d'audace, point d'ardeur, d'oubli de la fatigue, point de confiance. Un livre à mettre en toutes les mains. Je vais d'ailleurs le relire avec ma fille (10 ans). Nous y mettrons nous aussi tout notre empressement !

Nota bene : j'ai bien aimé le "passe moi la bouteille" à plusieurs endroits du livre : j'étais tellement emportée dans le récit que j'en oubliais que cela en est un ; le "passe moi la bouteille" ramène au présent de Marlow, et donne une note comique à la scène, nous savons que le héros n'est pas mort dans cette aventure puisqu'il la raconte, pour un peu, j'entendrais sa voix, rauque mais passionnée. Le plus incroyable voyez-vous c'est que, Marlow au fond, ne peut pas mourir.

12 décembre 2008

L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde - Robert Louis STEVENSON

Un livre édité en 1886 sous le titre "The strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde"
Mon édition est un livre Librio (texte intégral)

Le sujet
Mr Utterson, notaire de son état, découvre que son ami le Dr Jekyll a rédigé son testament en faveur du mystérieux Mr Hyde, un épouvantable personnage, malveillant et violent. Il décide de mettre en garde son ami, ignorant tout des expériences menées par celui-ci, avant de découvrir son secret à la lecture de lettres laissées par des témoins épouvantés, et impuissants à lutter contre les forces du mal.

Le verbe
Il n'existait pas de miroir, à l'époque, dans ma chambre ; celui qui se trouve à côté de moi, tandis que j'écris ceci, y fut installé beaucoup plus tard et en vue même de ces métamorphoses. La nuit, cependant, était fort avancée...le matin, en dépit de sa noirceur, allait donner bientôt naissance au jour...les habitants de ma demeure étaient ensevelis dans le plus profond sommeil, et je résolus, tout gonflé d'espoir et de triomphe, de m'aventurer sous ma nouvelle forme à parcourir la distance qui me séparait de ma chambre à coucher. Je traversai la cour, où du haut du ciel les constellations me regardaient sans doute avec étonnement, moi la première créature de ce genre que leur eût encore montrer leur vigilance éternelle ; je me glissai au long des corridors, étranger dans ma propre demeure ; et, arrivé dans ma chambre, je me vis pour la première fois en présence d'Edward Hyde. (p.76)
Mon complément
Un livre cadeau reçu de la part de Sylvie dans le cadre du Victoria Christmas Swap. Une histoire qui se lit d'une traite ! Impossible de faire autrement. Ou du moins, nous accepterons une petite pause. Le temps de verser une tasse de thé. Ne pas oublier de vérifier que les rideaux soient bien tirés pour éviter les ombres infiltrées. Je connaissais les personnages sans bien savoir quelle était la véritable histoire originelle. Nous sommes si souvent trompés par des impressions ou des souvenirs flous. Me voici donc à découvrir le cas du Dr Jekyll, attiré par son côté obscur, au point d'inventer une formule qui précipitera son déclin ; car peu à peu, ce n'est plus le Dr Jekyll qui prend sa potion pour devenir un temps cet odieux Mr Hyde, mais c'est Mr Hyde qui finit par avoir le dernier mot. La bête libérée ne réintégrera plus son carcan !

10 décembre 2008

Les vies d'Emily Pearl - Cécile LADJALI

Un livre édité en 2008 aux éditions Actes Sud

Le sujet
Angleterre, 1898. Emily Pearl entre au service de Lord Auskin en devenant la gouvernante de Terence, un garçon de 7 ans dont la mère est morte à sa naissance. De nature rêveuse et insatisfaite, elle rédige un journal dans lequel elle dépose ses frustrations, ses correspondances, ses souvenirs, comme un flux monocorde, sans ponctuation, mais avec de fausses accusations...

Le verbe
On saisit alors les fleurs, on pince les pétales entre nos ongles et, quand on obtient un nombre suffisant de confettis, on les lance par poignées dans l'air froid. Ils retombent comme une neige douce. Comme la pluie d'un mariage. On ne dira rien à papa, hein ? On ne dira rien à ton père. Allez, on file ! On a une promenade à cheval à faire, si je me souviens bien. Terence membrasse. Nous ne regardons pas en arrière. La tombe sans fleurs nous remercie peut-être déjà de ne pas avoir cru à sa réalité. (p.81)

Mon complément:
Nul n'a omis de remarquer le style victorien de cette histoire, tragique histoire (je cite de mémoire Malice et Lou, mais j'en oublie - il faudrait que quelqu'un se dévoue pour réaliser une page qui présenterait tous les billets de lecture sous les titres des livres appréciés...!).
Les prénoms des personnages féminins : Emily (Brönte ?) , Virginia (Wolf ?), y donne une touche très époque victorienne... Que de clins d'oeil en effet.
Emily se raccroche à sa soeur, véritable bouée de sauvetage dans la mare d'ennui dans laquelle elle patauge.
Mon ennui est d'un seul bloc, comme une pierre que l'on jette au fond d'un puits.
Seul Terence semble important, car faible : il a besoin d'elle. Au début, elle se méfie d'Alec Auskin, le père, qui lui semble intouchable, question de rang. Puis ils deviennent amants, un rapport très trouble les lie, une sorte de perversion de l'interdit. Mais Emily ne peut se satisfaire. Elle pense rejoindre sa soeur, émigrée en Amérique. Mais elle se marie avec un garçon qui l'indispose. Le mariage a lieu le même jour que le remariage de Lord Auskin avec Anne. Anne n'aime pas les hommes et passe son temps à folâtrer avec ses maîtresses. C'est le côté comique du livre, car il y en a.

A travers le journal, on découvre Virginia, la rebelle, partie à Londres gagner son indépendance en travaillant à l'usine. Virginia tombe amoureuse d'un pasteur, ils émigrent en Amérique. Ils s'installent à Salem où ils déclenchent l'hostilité des autochtones et réveillent les esprits des sorcières.

Partout l'eau est présente : mare, pluie, neige, océan, orage, la plage, la pêche, la baignoire... Une sorte de symbole purificateur, un désir de baptème, de renouveau.
Souvent je pense aux vagues. Je les associe à ma soeur. C'est à cause de leur façon de caresser la plage, avec leur grands bras qui se replient et laissent sur le sable un film brillant. (p.139)
Emily raconte dans son journal des petites anecdotes de la maisonnée, parfois fausses. Elle découvre qu'en médisant, en laissant traîner son journal à la lecture d'Alec, elle va déclencher des réglements de comptes, condamner des innocents à être mis à la porte. Son comportement ira même jusqu'à occasionner la mort. Drôle de puissance pour une frêle jeune femme qui se dit victime. Une victime qui se défend avec des mots, des armes invisibles mais pas moins efficaces.
Puis Emily se réveille.
Je reviendrai à mon cahier. A tout ce qu'il y a de faux et de vrai écrit à l'intérieur. Je n'y écrirai plus que mon bonheur, ma joie d'être là et d'être juste. Je renoncerai à voyager. Je renoncerai à suivre les plumes, les trains, les bateaux. Virginia comprendra. Ma vie de femme et de mère est ici. Je l'ai admis. Je ne suis plus la même. J'ai changé. Je suis celle que je veux être. Enfin. (p.181)
Un an passe. Terence dépérit. Il souffre même. Emily décide d'abgéger ses souffrances. Râté. Elle provoque l'indignation de son amant qui la chasse. Ce sera le signal de départ pour Ellis Island, Virginia l'y attend.

Un livre désiré (cette formule n'est-elle pas un gage en soi ?) après la lecture du billet de Holly qui pourtant ne racontait pas l'histoire (mais quand Holly estime un livre, c'est qu'il a quelque chose de plus).

Un livre dévoré en quelques heures, je suis parfois exigeante avec les dénouements ! Néanmoins l'histoire me laisse sur ma faim. Je m'explique. Un style magnifique, certains paragraphes sont "trop beaux" comme disent les jeunes aujourd'hui. A en pâlir d'envie. Avec un talent pareil, j'aurai fait une héroïne admirable, or je trouve qu'elle "craint".
D'elle, on ne sait rien de réel au fond. Même le journal ne reflète -peut-être pas- la réalité.
Emily reste à la surface, elle y flotte, comme si elle avait peur d'être elle-même. Elle ne se voit qu'au travers de sa soeur, qui semble si insouciante. Ah ! quelle contrariété ai-je eu quand les soeurs se manquent de quelques jours autour de la tombe de leur parents !

Mais je dis que je reste sur ma faim, c'est que j'aime les histoires qui finissent bien. Je vais finir par croire que j'ai un fond romantique !
Tant qu'à faire, je vous livre ma version. Rien n'empêche qu'Emily soit parmi les survivants, non rien ne l'empêche...

04 décembre 2008

Le retour du professeur de danse - Henning MANKELL

Un livre édité en 2000 dans sa version originale (suédois) sous le titre "Danslärarens återkomst"
Edité en France aux éditions du seuil en 2006
540 pages

Le sujet
Suède. De nos jours. Herbert Molin, 76 ans, retraité, passe son temps à faire des puzzles et vit seul dans sa maison au bord des bois quand surgit un inconnu qui le fouette au sang et à mort avant de l'entraîner dans une danse macabre qui laisse des traces de pas sanglantes dans son salon. Ce dernier tango n'est-il pas esquissé par l'une des nombreuses ombres que le supplicié a craint toute sa vie ? Un ancien de ses collègues, Stefan Lindman, en attente de commencer son traitement contre le cancer, enquête pour comprendre qui était Herbert Molin. Il finira par découvrir sa véritable identité avant et durant la guerre, le mobile du crime mais aussi un secret sur sa propre famille qu'il eût préféré ignorer.

Le verbe
- J'ai un cancer.
- Mortel ?
Le vieil homme avait dit cela avec une bonne humeur inattendue. Comme s'il était malgré tout capable de se réjouir que la mort ne soit pas réservée aux vieillards qui consacraient leurs derniers instants sur terre à écouter Bach.
- J'espère bien que non.
- Bien entendu. Seulement voilà, la mort est l'ombre dont nous ne pouvons pas nous débarrasser. Un jour, cette ombre se transforme en une bête féroce.
- J'espère guérir.
- Dans le cas contraire, je vous recommande Bach. Seul remède valable en dernier ressort. Il offre la consolation, ainsi qu'une petite protection contre la douleur, et une certaine mesure de courage. (p.317)
Mon complément
En préambule : un petit rattrapage pour les sous doués comme moi en géographie : une carte de la Suède pour mieux visualiser les distances parcourues dans ce roman : Stefan Lindman vient de Borås (au sud) et il va enquêter à Kalmar et Östersund.

Et aussi une précision : les suédois se tutoient, ce qui peut surprendre en lisant ce livre, des inconnus se tutoient (sauf vis à vis de personnes très âgées). Voilà un moment que je louchais sur ce livre, ce qui m'a retenu, c'est que j'imaginais le récit trop "versé dans le sang", trop gore si vous préférez, et franchement, le gore, ce n'est pas ma tasse de thé. Et bien non, vous pouvez y aller. Oh ! je ne dis pas que lors du passage où le vieux monsieur est fouetté sans savoir ce qui lui arrive est assez "dur", mais à part cela, ce livre est absolument passionnant.

Tout d'abord, les personnages. Henning Mankell a su en restituer avec finesse les sentiments. Herbert Molin, que l'on accompagne au début, semble si doux : il aime se faire son café, il danse avec sa poupée, et il a peur des ombres qui ne le laissent jamais dormir. On se doute bien qu'il n'a pas la conscience tranquille, sans savoir ce qui lui vaut cette angoisse.
Il avait gardé le souvenir du garçon, je crois même qu'il rêvait de lui dans ses cauchemars. J'ai bien l'impression que le petit a fini par retrouver sa trace.
Stefan Lindman vient d'apprendre qu'il a un cancer. Cette petite boule sur la langue est porteuse de la poisse et devient son compte à rebours. Il se raccroche alors à ce mystère qu'est la mort de son ancien collègue, il n'a rien d'autre de mieux à faire et il se sent utile. Il fait une sorte de tamdem avec le policier chargé de l'enquête : Guiseppe Larsson.
J'ai la mort dans le corps. Je devrais la prendre au sérieux, mais je n'y arrive pas. La mort est impossible à saisir, du moins la mienne.
Stefan Lindman farfouille, fouille, n'hésite pas à prendre des risques, s'introduit dans des maisons, des appartements, des chambres, certes vides, mais risquant à chaque instant d'être surpris. Il accomplit sa quête, comme s'il n'en avait rien à faire de se faire prendre, aveuglé par son angoisse de la mort. Il s'épuise sur les routes, mangeant mal, dormant (ou ne dormant pas) dans des chambres d'hôtels sans charme mais qui l'éloignent de ses repères habituels, de sa maison, de son heure de rendez-vous avec son traitement.

J'ai été littéralement happée dans cette histoire qu'on ne lâche pas, au risque de la perdre. Et puis, cela change des romans qui se situent en France, en Amérique ou en Angleterre. Le dernier jour de lecture, je me suis même réveillée à 3 heures du matin, impossible de me rendormir. Je me suis levée, j'ai fait couler le café, je me suis installée au milieu des coussins enroulée dans les couvertures, j'étais vraiment heureuse de retrouver mon livre, même si le propos de ce livre n'est pas glorieux puisqu'il s'agit du nazisme, celui d'hier, celui d'aujourd'hui.

Durant sa quête, Stefan découvre l'existence de groupuscules haineux, à l'échelle planétaire. Des communautés qui ne pratiquent pas forcément d'actes de barbarie, mais qui sont persuadées que leur salut viendra en exterminant les "envahisseurs". Rien de moins. Des groupuscules dont les adhérents sont des gens comme tout le monde.
Chaque nuit, je savais que quelqu'un allait mourir, mais qui ? Le voisin ? Ou moi ? Je me souviens qu'à mon idée, c'était le Mal en personne qui se déchaînait. Ce n'étaient pas des avions, là-haut dans le noir, mais des diables aux pieds griffus qui lâchaient des bombes sur nous. Plus tard, longtemps après, alors que j'étais déjà dans la police, j'ai compris qu'il n'y avait pas de gens mauvais - mauvais dans leur âme, si vous voyez ce que je veux dire. Mais que certaines circonstances pouvaient faire surgir la cruauté.
Je me demande quand même pourquoi le livre se termine ainsi, personnellement, je n'aurai pas écrit la lettre à Guiseppe.

29 novembre 2008

Chagrin d'école - Daniel PENNAC

Un livre édité en 2007, éditions Gallimard
305 pages

Le sujet
L'auteur fut un cancre. Il fut "sauvé" de son état de paria par des hommes et des femmes qui aimaient leur métier : l'enseignement. A son tour, devenu enseignant, il rédige ce livre afin de démontrer que, si tant de choses semblent fatales, rien n'est jamais perdu d'avance.

Le verbe
Un vieux monsieur d'une distinction désuète, qui avait donc repéré en moi le narrateur. Il s'était dit que, dysorthographique ou pas, il fallait m'attaquer par le récit si l'on voulait avoir une chance de m'ouvrir au travail scolaire. J'écrivis ce roman avec enthousiasme. J'en corrigeais scrupuleusement chaque mot à l'aide du dictionnaire (qui, de ce jour, ne me quitte plus), et je livrais mes chapitres avec la ponctualité d'un feuilletoniste professionnel. J'imagine que ce devait être un récit fort triste, très influencé que j'étais alors par Thomas Hardy, dont les romans vont de malentendu en catastrophe et de catastrophe en tragédie irréparable, ce qui ravissait mon goût du fatum : rien à faire dès le départ, c'est bien mon avis.
Je ne crois pas avoir fait de progrès substantiel en quoi que ce soit cette année-là mais, pour la première fois de ma scolarité, un professeur me donnait un statut ; j'existais scolairement aux yeux de quelqu'un, comme un individu qui avait une ligne à suivre, et qui tenait le coup dans la durée. Reconnaissance éperdue pour mon bienfaiteur, évidemment, et quoiqu'il fût assez distant, le vieux monsieur devint le confident de mes lectures secrètes.
- Alors, que lit-on, Pennacchioni, en ce moment ?
Car il y avait la lecture.
Je ne savais pas, alors, qu'elle me sauverait.
Mon complément
J'ai acheté ce livre pour ma fille, 10 ans, en CM2. Pas pour qu'elle le lise, enfin pas tout de suite je suppose, mais pour moi, pour comprendre ce qu'il y a dans sa tête. Car ma fille, elle n'est pas loin d'être ce cancre : travail scolaire fluctuant, résultats en dent de scie, mauvaise volonté, ou plutôt, volonté de ne rien faire. Pourtant, elle aime l'école, mais pas les devoirs...et pas du tout la lecture (mangas exceptés). D'accord, elle est dyslexique, mais cela n'explique pas ce manque d'envie. Et je me sens démunie, pour ne pas dire impuissante. Je ne peux tout de même pas faire ses devoirs à sa place, même si l'envie me démange ! Je suis capable de l'aider dans toutes les matières, et pourtant cela bloque. Ce matin, devoir de français, un texte sur les douze travaux d'Hercule. Nous avons fait la lecture, ensemble, elle a commencé, j'ai terminé. Elle a bien aimé mon interprétation d'Hercule poursuivant la biche aux cornes d'or et aux sabots d'airain. Il faut dire que je vivais la scène, que j'y mettais l'intonation, les roulements d'oeil, le souffle. Lecture théâtrale, j'aurais pu être actrice, tragédienne ou comique. Ou les deux. Pourtant, que c'est difficile de n'avoir pas peur de son avenir !
Je pensais trouver dans ce livre des pistes. Il y en a bien sûr, mais j'ai tout de même l'impression que ce livre est une sorte de témoignage pour les professeurs. Ce que je ne suis pas. J'aurais pu, cela m'aurait plu, mais je n'ai pas su choisir entre la filière littéraire et la scientifique. Je suis persuadée que les professeurs successives de ma fille font leur métier, ce que je regrette (et ce qui m'empêche de dormir parfois tellement je ne vois pas d'issue), c'est qu'elles voudraient que je fasse le leur : multitudes de devoirs écrits le soir pour le lendemain, élève démotivée, fille fatiguée, maman énervée. Du coup, je délègue les devoirs à la nounou, il parait que c'est mieux. Le soir, vers 20 heures, je "contrôle", et me retiens de corriger... Il parait qu'ils le font en classe le lendemain.
Daniel Pennac a eu de la chance, il a croisé de belles âmes sincères et aimant leur métier. Je voudrais être cette chance pour ma fille. Je ne sais pas trop comment m'y prendre. Je m'informe, je tente de me rassurer, pour la rassurer, elle.

J'ai donc lu ce livre avec une belle envie, beaucoup d'amusement à certains passages, Pennac est très fort pour raconter, je dois le dire. Avec un style agréable et reposant. Un véritable délassement de lecture, alternant de longues phrases et de courts chapitres.

J'ai particulièrement apprécié les raisons que le cancre invoque pour expliquer son devoir non rendu.
"Monsieur, j'ai consacré hier deux heures à ne pas faire votre devoir. Non, non, je n'ai pas fait autre chose, je me suis assis à la table de travail, j'ai sorti mon cahier de texte, j'ai lu l'énoncé et, pendant deux heures, je me suis retrouvé dans un état de sidération mathématique, une paralysie mentale dont je ne suis sorti qu'en entendant ma mère m'appeler pour passer à table. Vous le voyez, je n'ai pas fait votre devoir, mais j'y ai bel et bien consacré ces deux heures. Après le dîner il était trop tard, une nouvelle séance de catalepsie m'attendait : mon exercice d'anglais."
Petite contrariété : Daniel Pennac n'oublie pas d'être le "prof", ce que le fait passer pour un pédant, ce qui m'a légèrement agacée : il nous a sorti deux mots que je n'avais jamais lu : sabir et sybarite.

Il a utilisé deux fois de suite un adjectif peu usité : superlatif qui faisait une impression "bizarre" dans le texte, comme un rajout. Après avoir vérifié leur signification, je dormirai moins bête ce soir.

Un mot sur le dernier paragraphe : le vol des hirondelles à travers la chambre, c'est un moment qui donne le frisson, une belle image pour achever ce parcours de raison.

25 novembre 2008

Le pays sans Adultes - Ondine KHAYAT

Un livre de la rentrée littéraire 2008
335 pages
Editions Anne Carrière

Le sujet
Nord de la banlieue parisienne, de nos jours. Slimane, 11 ans veut rejoindre le Pays sans Adultes. Là-bas, les pères ne sont pas des Démons, les mères ne sont pas des mauviettes timorées qui se laissent battre au sang, et surtout, surtout, les grands frères ne sont pas morts de désespoir...

Le verbe
Moi si j'étais au pouvoir, aucun mari n'aurait le droit de battre sa femme. Et aucune femme ne pourrait rouspéter bêtement auprès de son mari. D'ailleurs, si j'étais au pouvoir, le mariage, ça n'existerait plus. Les mamans et les papas ne vivraient pas ensemble, ou alors seulement après avoir passé des tests. Un genre de permis de vivre ensemble. Un permis à point, comme pour les automobiles. Si vous perdez trop de points, c'est fini, vous ne pouvez plus vivre ensemble. Il faut repasser l'examen pour avoir un nouveau permis. Dans les films, les gens ont l'air amoureux, ils vivent dans des beaux appartements et ils portent des vêtements chics, mais on nous montre uniquement les bons côtés. Dans la vraie vie, les gens font leurs courses au supermarché du coin, et ils se disputent pour tout, même pour choisir un paquet de pâtes. Dans la vraie vie, les gens vivent dans des appartements trop petits, et parfois même, ils sont renvoyés de leur travail. Alors, ils restent dans leur salon, assis devant la télé, "emberlifagotés" dans leur tristesse. Ils se mettent à crier les uns sur les autres, et leurs enfants grandissent avec de des ronces dans le coeur. Les mauvaises herbes, si vous ne les arrachez pas tout de suite, elles finissent par tout recouvrir : les terres vierges et les fleurs sauvages. Moi, ce que je crois, c'est qu'aucun enfant ne peut survivre à la sécheresse. (p.14)
Mon complément :
J'ai reçu ce livre grâce au site Chez les filles et les éditions Anne Carrière (que je remercie du fond du coeur, mais cela reste entre nous puisqu'aucun éditeur ne viendra vraisemblablement jamais sur cette page - rires !), revenons à nos moutons.

Voilà un livre qui m'a tout de suite fait pensé à l'élégance du hérisson de Muriel Barbery (mon avis ici, clic), il n'y a pourtant aucun point commun. Non. C'est juste que tandis que l'un est reconnu, archi lu, l'autre est encore inconnu, et il ne le mérite pas. On peut se passer d'avoir lu le hérisson qui est bien écrit, mais pas transcendant, alors que le Pays sans Adultes, il est essentiel d'y jeter un oeil, pour voir, pour toucher, effleurer un instant un monde proche de nous, même écrit avec des mots d'enfants, des mots percutants et justes, eux aussi.

Nous avons quand même plus de "chances" (si je puis dire), de rencontrer un Slimane qu'une concierge philosophe.

La concierge, elle n'a pas besoin de notre aide pour vivre.
Slimane si.

Fin de la parenthèse.

Le père, le Démon, est au chômage. Il boit, il devient mauvais et bat sa femme, ses fils qui tentent de s'interposer : Maxence, 13 ans et Slimane, 11.
Je voudrais que le chagrin soit effervescent, comme ça je verserais de l'eau dessus, et je le regarderais se dissoudre lentement. (p.176)
Un jour, Maxence n'en peut plus.
La tristesse dépose du sable dans mon sang, et elle l'empêche de couler. (p.182)
Il s'envole vers le Pays sans Adultes, un pays où les enfants ne souffrent plus du manque d'amour et d'espoirs : il se pend dans sa chambre.

Je sais qu'il y a un monde, ailleurs, très loin d'ici, où les enfants ne pleurent jamais, où le soleil est un éclat de rire. Un monde qui ne ressemble à rien de ce qu'on connaît. Un monde avec des étoiles à tous les coins de rue, pour remplacer les lampadaires. (p.204)
Slimane le découvre et décide de mourir à son tour. Tentative. Il se retrouve à l'hôpital. Vieillesse, anorexie, boulimie, autodestruction, leucémie. Cohabitation des maux dans l'univers blanc de l'anti chambre de la mort.

Je ne ferai pas d'analyse, il est tard, et surtout, ce n'est pas l'essentiel. C'est un livre qui touche par une certaine légèreté pour dire des choses graves. Un style qui virevolte sur les mots pour esquisser le drame latent, l'enfermement des uns et des autres dans une situation impossible. La mère incapable de quitter son mari violent alors que c'est elle qui gagne la vie du ménage. Incapable de protéger ses fils, sans doute inapte à imaginer leur ressentiment.

A l'hôpital, Slimane fait la connaissance de Valentine, une jeune fille mince comme du papier sans musique.

C'est la première fois que je sens que j'ai un coeur, depuis que Maxence est parti au Pays sans Adultes. Je suis même étonné, parce que j'étais sûr et certain que mon coeur était mort. Peut-être qu'avant de mourir, il a mis au monde un bébé coeur, et que c'est lui qui tape contre ma poitrine. Il doit sûrement avoir faim. En tout cas, Valentine, c'est une nourriture qui a l'air de lui plaire. (p.222)
Valentine est en quelque sorte son alter ego. Sans remplacer son frère, Valentine est sa roue de secours pour un coeur crevé.

Moi je n'aurai jamais d'enfants, je serai enceinte de mes rêves. (p.303)
Ce roman est comme la fermeture éclair d'un cadavre que l'on voudrait ne pas voir, mais qui est là malgré tout.

Les enfants malheureux, on leur dira que les sourires, c'est la seule chose qui donne encore envie au soleil de se lever chaque matin, et que sans eux le monde serait entièrement plongé dans le noir. (p.334)
Un cadavre que l'on peut espérer en décomposition, mais il y a encore beaucoup à faire.

23 novembre 2008

Le tableau de l'apothicaire - Adrian MATHEWS

Un livre édité en 2005 sous le titre "The Apothecary's house" chez Macmillian
Traduit de l'anglais par Michèle Garène
Publié en 2006 chez Denoël
550 pages

Le sujet
Amsterdam de nos jours. Ruth Braams, historienne d'art, travaille au Rijksmuseum sur l'enregistrement des oeuvres d'art réquisitionnées par les nazis et de leurs requérants afin de permettre à une commission de restituer l'oeuvre au propriétaire légitime. Lydia, une dame âgée et souffrante, entre dans la bibliothèque où travaille Ruth et réclame son tableau : "Femme allongée au mimosa", peint par son ancêtre Johannes Van der Heyden. Après vérification, Ruth découvre que son tableau est fort convoité. Mais surtout qu'il a attiré l'attention des hauts dignitaires nazis dans le passé, dont Hitler en personne. Que cache ce modeste tableau, de bonne facture certes, mais dont personne n'a jamais entendu parler ? Le support du tableau est une plaque de cuivre et d'étranges inscriptions sont apposées à son dos. Une énigme qui marie l'alchimie des éléments, mais aussi celle des sentiments.

Le verbe
Les poutres en pente, la petite fenêtre, l'âtre et le manteau de la cheminée - tout était exactement comme deux siècles et demi auparavant quand la beauté brune s'était endormie sur la méridienne, dans le parfum du mimosa, et que l'homme se tenait, triste, debout à la fenêtre, perdu dans la contemplation du canal. (p.322)

Je suis confrontée à un fantôme ou à un démon - mon ombre la plus noire. Je l'incube. Il faut que je le fasse éclore. Que je casse cet oeuf du diable. (p.497)
Mon complément
Comme l'indique le titre original, l'objet principal de ce roman n'est pas le tableau de l'apothicaire mais sa maison. La maison est au centre de l'énigme. Mais nous ne l'apprenons que vers la fin. Avant d'en arriver là, l'auteur parvient à tricoter une incroyable énigme sur fond d'invention, de peinture, de chimie, et, the last but not the least, de passion. Plus de 500 pages qui ouvrent et poussent des portes incroyablement bien huilées. Comme la peinture dont il est question.
Un style plus qu'honnête avec de bons mots, des formules qui font mouche, et pas du tout de "redites", choses que je déteste.
L'argent. C'est le plus petit violon au monde. Tout le monde ou presque fait la queue pour en jouer.
Nous découvrons aussi Amsterdam, ses vélos, ses canaux et ses péniches, comme celle où habite Ruth, la rebelle. Sans oublier la "fumette" !!!! citée à de nombreuses reprises, j'ai trouvé cela moyen, je dois être une sorte de vieille bique, c'est sûr, à cheval sur certains principes et notamment celui de ne pas inciter à la drogue... Bref.
photo par MorBCN
Mention spéciale à l'auteur pour la qualité des lettres écrites par Johannes Van der Heyden à son ami, dans lesquelles nous assistons à la transformation d'un pauvre apothicaire en un véritable ingénieur de l'image. Un dernier mot encore : Johannes Van der Heyden a réellement existé (1637-1712). Peintre baroque hollandais il fut également un inventeur.
Johannes Van der Heyden
Parmi ses oeuvres : en voici une dans le ton de ce roman, ambiance studieuse :

et une autre, représentant les canaux :

Je découvre un peintre en lisant un roman de fiction. Les livres nous réservent de réels enchantements.

Il est question d'Alt Aussee dans ce livre, la mine de sel où les nazis entreprosaient les oeuvres volées.

Ce mot me disait quelque chose, je viens de vérifier. Je l'ai lu dans le roman Le Portrait de Pierre Assouline qui romance les mémoires post mortem de Betty de Rothschild.

16 novembre 2008

L'homme pressé - Paul MORAND

Un livre écrit en 1941.
Mon édition : L'imaginaire Gallimard, 2005
332 pages

Le sujet
Pierre Niox, 35 ans, est antiquaire, spécialiste de l'art mérovingien. Il n’arrête pas une minute, a toujours une longueur d’avance, en un mot, il trouve que la vie est bien lente pour lui. Il est si pressé en toutes choses, qu'il en est insupportable. Placide, son ami de toujours finit par le laisser tomber, ainsi que Chantepie, son valet de chambre. Un jour, il rencontre Hedwige, une jeune femme originaire de la Martinique, la fille de M. de Boirosé à qui il a racheté une magnifique chartreuse du XIème siècle, juste avant que celui-ci ne rende l'âme.
Pierre finit par épouser Hedwige, promettant de devenir raisonnable. Mais son impatience revient au galop : il oblige sa femme à faire une radio rien que pour apercevoir les contours de son enfant à naître. Ensuite, il exige qu'elle accouche 2 mois en avance. C'est en trop. Hedwige repart auprès de sa mère et de ses soeurs vivre le reste de sa grossesse. Et Pierre oublie l'absence de sa femme chérie dans le voyage. Un jour, il a une crise cardiaque. Le premier coup de semonce de la vie. Le premier coup de gong qui sonne l'heure de sa mort toute proche.

Le verbe
Pierre attend toujours et le temps s'écoule. On parle du temps qui s'écoule, comme s'il descendait d'une source et comme si cette source était située quelque part en amont. Quand Pierre lève la tête, on dirait qu'il cherche la fontaine qui marque le commencement de ce grand fleuve.
" Ce doit être une source d'eau salée, soupire-t-il, gonflée de toutes les larmes de ceux qui ont attendu." (p.222)

Mon complément
Quelle classe ! Quelle style ! Après les contes à dormir debout de Nathalie Rheims, me voilà plongée dans le bain que je préfère : les bons mots, là où il faut. C'est à dire, tout partout. Je découvre Paul Morand, cela ne m'étonne pas qu'il ait été élu à l'académie française. Paul Morand est dans l'administration au moment de la défaite de 1940 et se retrouve à la retraite d'office par le gouvernement de Vichy. Il publie, entre autres ce livre en 1941. Aucun indice de sa propre vie dans ce roman, mais il est toutefois question de Regencrantz, un médecin juif polonais qui peine à trouver un pays d'asile.

Maintenant, le livre. L'homme pressé, c'est moi. Autant dire que j'ai un faible pour lui et que je lui trouve bien des excuses. Il est même assez souvent comique.
On apporta le café, avec des morceaux de sucre hygiéniquement enveloppés. Pierre les jeta dans la tasse, sans les dépiauter.
- Vous êtes vraiment impossible, mon amour ! On dirait que les choses ne vous appartiennent pas, que vous les volez.
- Puisque la cellophane finira par flotter d'elle-même ! (p.198)
Un véritable coup de coeur pour cet homme pressé qui a une âme. Quoiqu'en pense son entourage, il a conscience de son état, mais ne peut s'empêcher, c'est une sorte de malade, incapable de se prendre en charge (cf à la fin de la page 94, et aussi en page 99 au restaurant avec les deux soeurs). Personne ne l'aide réellement au fond. Même sa femme l'abandonne. Du coup, il s'en éloigne, au point de n'oser entrer dans la chambre où sa fille vient de naître (séquence émotion pour Wictoria la larme à l'oeil...).

Pierre se rend compte à quel point il gâche son temps mais il sait encore s’émouvoir de la prononciation d’une lettre dans la bouche de celle qui lui fait battre le cœur. Pierre voit dans la même journée partir son ami et associé. Il s’interroge (p.117) ce qui prouve qu’il n’est pas si dupe de son état. Un livre, découvert, je ne sais comment et acheté en 2006. Des fois, le hasard fait bien les choses.

A noter : il existe une adaptation au cinéma, un film d'Edouard Molinaro, avec Delon.

13 novembre 2008

Un autre tour de train

Ce soir, une fois n'est pas coutume, je rentre à la maison avant 19 heures. La clef à peine sortie de la serrure, j'annonce "c'est moi" (bien sûr, qui d'autre ?). Je suis heureuse. D'être au chaud, enfin, de poser mon sac, un gros sac, du genre sac de voyage car je n'aime pas trimballer plusieurs sacs, j'ai trop peur d'en oublier un dans les transports en commun, tête absente que je suis parfois. Le trousseau de clefs à peine posé, je me déchausse dans l'entrée, j'ôte mon armure, étole, parka des bords de mer, appréciable dans les attentes au gré des vents-courants d'air. D'un coup d'oeil, je vérifie que la table est mise, sinon cela me fiche le bourdon.

Puis ma fille, l'ingrate :
- Oh non ! Déjà ?

Ouais, je comprends que "Naruto" n'est pas fini, et que mademoiselle va nous faire sa crise.

Zen. Je rétorque :
- Quoi ? Tu veux que je reparte faire un tour ?
- Oui, vas refaire un autre tour de train.

Charmant. Mais cela me fait rire. Je sais, je ne suis pas une mère normale. Je sais. Je suis fatiguée. Je ne veux pas me prendre la tête. Je sais de plus qu'elle ne le pense pas. N'empêche. Soupir.

Et puis la question rituelle.

- As-tu apporté du pain ?
- Oui, j'ai promis ce matin.

Aparté. Je tiens à écrire que j'ai acheté ce soir le pain à Paris, dans une vraie boulangerie, du pain qui sent bon le levain, pas du pain blanc, anémié du marchand de pain voisin, pratique certes, mais pas donné. 85 cents la simple baguette (quand il en reste !) ou bien 1 euro 10 pour celle pompeusement appelée "tradition", qui n'a de traditionnel que le nom.

Je sors la baguette de mon sac (de voyage et de courses donc) et je la pose sur la table.

Alors comme cela, tu veux que je refasse un autre tour de train ? Mortifiée je suis au fond de moi. Un tour de train, c'est presque 2 heures. Aller. Avec le retour, on double. Surtout le soir, les trains se font plus rares. Un tour de train. Si je repars, je serai de retour avant minuit.

Un tour de train comme on monte dans un manège, peut-être. Un manège (parfois) désenchanté.

12 novembre 2008

Le chemin des sortilèges - Nathalie RHEIMS

Un livre de la rentrée littéraire 2008.
180 pages

Le sujet
A l'invitation de Roland, un ancien ami perdu de vue depuis 10 ans, une femme se rend dans une ancienne maison. Des choses familières semblent l'entourer, pourtant elle n'est pas très à l'aise. Heureuse de retrouver celui qui fut son mentor, son psychanaliste, la femme ressent également des angoisses inexplicables. Seule la voix rassurante de son ami la pousse à ne pas renoncer à une sorte de quête intérieure. Pendant 6 jours, elle redécouvre les contes de son enfance, dans une semi-réalité, parfois dans une sorte de rêverie. Chaque jour la pousse sur un échiquier dont elle ignore les règles de déplacements. Pourtant, elle persiste et reste dans cette étrange maison, elle résiste à son angoisse de perdre Roland alors que tout le monde dans son entourage est mort : son frère, sa mère, sa nounou bien aimée. Pourquoi Roland semble-t'il de moins en moins présent au terme des 6 jours ?

Le verbe
On entendit un miaulement dans la pièce. Un chat l'avait suivi. C'était son unique compagnon ; il l'avait appelé Cheshire, en hommage à Lewis Carroll. (p.21)

Chaque histoire déposée dans ma chambre était une étape de ce voyage intérieur, chaque livre un caillou blanc semé dans la forêt de l'oubli. Il ne fallait pas chercher à remonter le temps, c'était inutile, mais il fallait avancer, jour après jour, conte après conte. (p.107)

Mon complément :
J'ai reçu ce livre grâce au site Chez les filles et les éditions Leo Scheer. Avant de le commencer, je suis allée fureter ici et là. J'ai trouvé beaucoup de billets mais peu, vraiment peu d'avis. Je veux parler d'avis intime.

Voici le mien. L'histoire est originale, certains lecteurs n'ont pas manqué de souligner de fortes affinités avec l'essai de Bruno Bettelheim "Psychanalyse des contes de fées" (The Uses of Enchantment), un livre datant de 1976, que j'ai lu il y a 30 ans. Bon, je l'avoue, à part une maigre relation aux contes d'enfants, ce roman n'a rien à voir. Peut-être l'histoire fleurte-t-elle avec la psychanalyse dans la mesure où Roland est du métier mais la ressemblance s'arrête là. Le récit frôle à peine une éventuelle explication psychanalyste, vraiment.

Il est question de 6 contes : la Belle au bois dormant, Blanche Neige et les 7 nains, le petit Chaperon rouge, la petite marchande d'allumettes, le petit poucet, la petite Sirène (dans le désordre), mais la narratrice ne les évoque que pour son propre cas, sa propre histoire. Une mère aimant ce fameux Roland, impossible à aimer au "grand jour", une petite fille idolâtrant une sorte de père spirituel. La narratrice plonge dans un labyrinthe d'émotions refoulées, qui mettent des années avant d'être révélées.

Le roman est une sorte de spirale, on part du bord pour progresser vers le centre, le coeur. Nous finissons par apprendre que la femme refuse une certaine réalité, celle de la mort, la disparition. Mais au-delà de la mort, Roland, son exceptionnel ami revient la tirer de sa mélancolie, on ne sait comment. Par le rêve ? Le mystère de l'écriture ? Un vortex de la conscience ? C'est là le chemin que l'on voudra bien reconnaître.

Maintenant, mon avis sur le style : c'est mon premier livre de Nathalie Rheims que je connais au moins par son look, et notamment ses cheveux. Hier soir, avant de lire le livre, j'ai visionné sur le net tout ce que j'ai pu trouver : elle a une forte personnalité, c'est le moins que l'on puisse dire. Je m'attendais donc à un style d'écriture en raccord avec sa présence, et j'ai été déçue. Point de symbiose, point d'emportement, point de jubilation. Je n'en dirai pas plus, sauf que je chercherai à lire au moins un autre de ses livres, pour tenter de me faire une autre opinion.

Car ce chemin des sortilèges ne m'a guère ensorcelée.

30 octobre 2008

Le bonheur de la nuit - Hélène BESSETTE

Un livre écrit entre 1968 et 1969 (Hélène avait 30 ans)
publié en 2006 grâce à la collection Laure Limongi aux éditions Léo Scheer
240 pages

Le sujet
Un homme dans son château (Nata) quitte sa femme qu'il bat. Il hésite entre Doudou et Chérie. C'est la valse des jupons devant les amis, les domestiques qui en perdent le latin (qu'ils n'ont du reste jamais appris).

Le verbe
Substitution de personne.
Mieux. Substitution de famille.
En l'espace d'un jour et de sa nuit.
Crime moral. Délit non enregistré.
- comme beaucoup d'autres et par voie de conséquence non punissable comme beaucoup d'autres-
Au bord du punissable.
On a donc le droit. (p.59)
Mon complément
Je dirai peu de ce livre, de peur de dire mal, de ne pas dire assez bien. Comment, me direz-vous, avoir découvert ce livre ? En lisant le magazine littéraire dans un numéro de 2006 (j'y étais alors abonnée). J'ai eu le coup de foudre pour la femme dépeinte dans l'article. Je me suis précipitée sur le livre disponible en libraire, le seul titre encore disponible. Hélène vit avec moi, en moi. Les artistes ont cette chance de rester immortels, tout de même. Quel destin !

Dire (quand même) que ce livre n'existe pas comme un autre : c'est un hybride, une chose entre le poème et le théâtre : courtes phrases, apartés, parenthèses, drame en coulisse ou sur scène. Tout y est. Tout est d'une incroyable modernité. Hélène avait l'âge de ma grand-mère. Je l'adopte.

PS. si vous aimez les romans et seulement eux, si vous aimez les phrases de plusieurs lignes, ne lisez pas Bessette (voir l'extrait ci-dessus : tout le livre est dans le même style), mais vous auriez tort de ne pas essayer...

Voyages - Stefan ZWEIG

Un livre rassemblant des articles écrits pour des revues ou journaux entre 1902 et 1937
Titre original : "Auf reisen"
183 pages

Le sujet
Stefan Zweig écrit ses voyages, décrit ses joies, ses peines, ses émotions, ses regrets. Avec toujours la bonté d'être un voyageur de l'humanité sur cette petite planète parfois folle...

Le verbe
Regarde-les donc bien, ces apatrides, toi qui as la chance de savoir où sont ta maison et ton pays, toi qui à ton retour de voyage trouves ta chambre et ton lits prêts, qui as autour de toi les livres que tu aimes et les ustensiles auxquels tu es habitué. Regarde-les bien, ces déracinés, toi qui as la chance de savoir de quoi tu vis et pour qui, afin de comprendre avec humilité à quel point le hasard t'a favorisé par rapport aux autres. Regarde-les bien, ces hommes entassés à l'arrière du bateau et va vers eux, parle-leur, car cette simple démarche, aller vers eux, est déjà une consolation ; et tandis que tu leur adresses la parole dans leur langue, ils aspirent inconsciemment une bouffée de l'air de leur pays natal et leurs yeux s'éclairent et deviennent éloquent. (p.59)
Mon complément
Stefan Zweig. Je le retrouve, je l'avais un peu perdu de vue, mais lui ne m'avait jamais abandonnée, il était tapi quelque part par là, dans un endroit obscur, que l'on nomme le coeur. Ceci est un court petit bouquin : récits inégaux, certains curieux, d'autres moins intéressants. Mais toujours, toujours, le style ! La classe quoi.

24 octobre 2008

De l'autre côté du miroir - Lewis CARROLL

Un livre édité en 1872
sous le titre "Through the Looking-Glass"
Mon livre présente l'édition de Jean Gattégno (préface et notes)
illustrations sont de Sir John Tenniel

Le sujet
Dans son salon, Alice joue avec ses petites chattes Dinah la blanche et Kitty la noire. Elle regarde dans le miroir et imagine comment est la maison qui se trouve de l'autre côté : la pièce semble identique, cependant tout est à l'envers. Et derrière la porte ? A quoi ressemble le jardin ? Allons voir...

Le verbe
Entends-tu la neige contre les vitres, Kitty ? Quel joli bruit elle fait ! On dirait qu'il y a quelqu'un dehors qui embrasse la fenêtre tout partout. Je me demande si la neige aime vraiment les champs et les arbres, pour qu'elle les embrasse si doucement ? (p.189)

Un instant plus tard, Alice avait traversé le verre et avait sauté légèrement dans la pièce du Miroir. Avant de faire quoi que ce fût d'autre, elle regarda s'il y avait du feu dans la cheminée, et elle fut ravie de voir qu'il y avait un vrai feu qui flambait aussi fort que celui qu'elle avait laissé derrière elle. "De sorte que j'aurai aussi chaud ici que dans notre salon, pensa Alice ; plus chaud même, parce qu'il n'y aura personne ici pour me gronder si je m'approche du feu. Oh ! comme ce sera drôle, lorsque mes parents me verront à travers le Miroir ey qu'ils ne pourront pas m'attraper !" (p.193)
Mon complément
Encore une fois, Alice rêve et décide de traverser le miroir de son salon.



Tiennel
De l'autre côté, elle s'aventure dans un monde merveilleux d'étrangetés et d'absurdités. Animaux, conversations, comportements, Alice ne reconnaît rien des choses auxquelles elle est habituée.



Tiennel
Carroll précisera que la petite fille avance dans l'histoire comme dans un jeu d'échecs. Je n'ai pas vérifié, j'avoue même avoir vite perdu la visualisation de l'itinéraire d'Alice sur son échiquier imaginaire, et ceci ne m'a pas empêché d'admirer avec quel panache, Lewis Carroll suit le fil de son récit. N'oublions pas que Lewis Carroll, ou plutôt Charles Lutwidge Dodgson, a inventé des histoires pour des enfants, au cours de promenades. Ce n'est que plus tard, qu'il les rédigea. Je salue la richesse de son invention.

Alice au pays des merveilles - Lewis CARROLL

Le sujet
Alice somnole auprès de sa grande soeur. Son rêve l'emmène à la poursuite d'un lapin blanc pressé, au milieu d'un peuple de cartes à jouer, à la rencontre de multiples créatures animales, le tout évoluant dans un monde de folie.

Le verbe :
Et cette fois, il disparut très lentement, en commençant par le bout de la queue et en finissant par le sourire, qui resta un bon bout de temps quand tout le reste eut disparu.
"Ma parole ! pensa Alice, j'ai souvent vu un chat sans un sourire, mais jamais un sourire sans chat !... C'est la chose la plus curieuse que j'aie jamais vue de ma vie !" (p 107)
Mon complément :
Comme tout le monde, je connaissais l'histoire d'Alice, sans jamais l'avoir lu dans sa version d'origine. Je suis tombée sous le charme de Lewis Carroll, que je connaissais de nom et au travers du miroir de la chasse au Snark de mon amie Holly G. Tout d'abord : un style, un souffle, un rythme. Le monde d'un écrivain n'existe pas tant que l'on n'y entre pas par le coeur. Aucune critique, aucun avis, ne pourra remplacer l'émotion découverte, une sorte de temps à part : où que l'on soit, l'univers s'arrange un peu, se grise, et nous nous retrouvons au milieu de nulle part, ou plutôt dans un endroit à soi, un monde parlant à l'enfant qui réside encore dans ce corps que l'on est devenu. Un monde où il fait beau revenir de temps en temps. En 12 chapitres, nous suivons Alice dans un monde absurde, et parfois, proche de ce monde qui est le notre.

Pour créer son personnage d'Alice, Lewis Carroll s'est inspiré d'une véritable petite fille Alice Liddell :
http://www.lewiscarroll.net/
Alice est bien entendu, un personnage qui inspira, qui inspire encore de nombreux artistes.

Un livre édité en 1865 sous le titre "Alice’s adventures in Wonderland"
Mon livre présente l'édition de Jean Gattégno (préface et notes)
illustrations sont de Sir John Tenniel.

20 octobre 2008

Le fiancé de la lune - Eric GENETET

Un livre de la rentrée littéraire 2008
éditions Héloïse d'Ormesson
123 pages

Le sujet
Arno Reyes gagne sa vie en faisant le singe. Sans attache, sauf celles de sa mémoire. Il rencontre une chanteuse au visage de lune et aux cheveux roses : Giannina, sa princesse. Pour elle, il est prêt à tout, même à devenir père. Pour combien de temps ?

Le verbe

J'ai quitté la table et composé mon propre numéro. Une seule sonnerie suffisait. Si elle ne masquait pas ses appels, son numéro s'était affiché dans ma poche, sur l'écran de mon propre portable en mode silence. Un appel en absence de sa présence. (p.18)
Mon complément
J'ai reçu ce livre grâce au site "Chez les filles" et les éditions Héloïse d'Ormesson. Néanmoins, je tiens à faire remarquer que c'est ma première excursion dans le monde éditorial, et que cette confiance m'honore, tout simplement. Moi qui suit une dilettante. Je vais écrire ici en toute honnêteté, évidemment.

Tout d'abord, un aparté : la couverture ; j'aime les couleurs, la scène. J'aime ce qui ressemble à un café, une brasserie. Je trouve ses endroits vivants, ce sont les poumons de la vie, surtout depuis qu'on n'y fume plus (évidemment, je suis pour !). Le café est le lieu du dernier recours en cas de solitude avérée, essentiel.

Zacharie, Zac, part sur la lune avec une boite de souvenirs genre "le fabuleux destin d'Amélie Poulain (je ne m'étendrai pas sur ce film que je trouve pathétique, voire abscons, mais je suis certainement la seule...passons). Flashback, par petites touches impressionnistes sur son père : Armo, le singe volant, le saltimbanque, le pierrot lunaire, le fou. Arno tombe "en amour" auprès de sa belle, il ambitionne une vie romantique, imagine un fabuleux destin, enfin. Il a 40 ans. Il est temps. L'enfant paraît et il n'y a plus que lui. La princesse s'étiole comme une étoile filante, l'amour ne suffit plus, le temps mange, le temps ronge, gangrène du songe. La princesse est malade, elle ne dort pas sur un petit pois mais ne fait plus de beaux rêves. Il semble qu'elle est en train de filer d'un mauvais coton. Tisseuse de désespoir qui s'habille de mort. Y a-t-il une vie après ? Y a-t-il des matins dansant pour ceux qui pleurent dans l'infini ? Arno l'espère, Zac ira au bout de ses rêves.

Franchement, ce livre est trop court ! Petites touches incisives comme des traits de scalpel sur la peau de l'ego. Qui sommes-nous dans notre individualité ? De combien de pas est-il permis d'avancer sur le territoire d'autrui ? Combien de mètres ? Combien de mots ? Combien de jours à partager avec l'autre avant d'être rassasié ? Avant d'être saturé ? Avant d'avoir envie de prendre l'air ?
Doit-on se perdre pour enfin se manquer ? Peut-on supporter de vivre pour autre chose que pour soi-même ? Tant de questions sans réponse préformatée. Un livre cependant lumineux, comme un clair de lune : mystérieux et proche, inaccessible, sauf...en littérature.

L'auteur, pose des questions à la manière du petit prince : quelque part, quelqu'un sait que la rose existe, et elle attend, indéfiniment.

Lien externe

18 octobre 2008

Dans l'abîme du temps - Howard Phillips LOVECRAFT

Une nouvelle fantastique éditée en 1935
titre d'origine : The shadow of time
96 pages

Le sujet
Un homme s'évanouit en donnant un cours à l'université. Lorsqu'il reprend conscience, il semble être différent et sa famille le tient à distance. Cinq ans après les faits, il semble avoir repris "ses esprits", et finit par comprendre que durant ce laps de temps, il a été enlevé par une ancienne race humaine capable de se projeter dans le passé, l'avenir et même l'univers. Il comprend aussi que durant ce temps, il a vécu à leur époque, s'adaptant progressivement à son nouveau corps monstrueux, avant de pouvoir réintégrer le sien.

Le verbe
Avant même que mon moi éveillé n'ait étudié les cas analogues au mien ou les anciens mythes, d'où assurément naquirent les rêves, j'appris que les entités qui m'entouraient étaient la race la plus évoluée du monde, qu'elle avait conquis le temps et envoyé des esprits en exploration dans toutes les époques. Je sus aussi que j'avais été exilé de mon temps tandis qu'un autre y occupait mon corps et que certaines de ces étranges formes abritaient des esprits pareillement capturés.  (p.197)
Mon complément
Je préfère cette seconde nouvelle à la précédente, pour son originalité et aussi, parce que je me suis sentie plus proche de ce pauvre bougre à qui il arrive une fantastique histoire. En effet, les scientifiques éperdus de l'expédition en Antartique avaient pour moi quelque chose de malsain et même, un comportement incohérent : car franchement, après avoir découvert mes camarades décimés, j'aurais plutôt eu envie de prendre la poudre d'escampette plutôt que de me mettre à explorer l'ideuse cité. Enfin, c'est ainsi.

Dans ce récit, le narrateur est Nathaniel Wingate Peaslee, économiste politique qui après son aventure d'amnésie, devient psychologue. Un jour, il a l'occasion de partir en expédition avec Dyer, le même que dans les montagnes hallucinées.

Aparté : je note que H.P. Lovecraft aime beaucoup réintroduire des personnages, créatures ou objets, les invitant d'un livre à l'autre, un peu comme s'ils se retrouvaient dans un club entre amis, les pièces principales de sa propre mythologie.
Pourtant je cheminais toujours, comme vers quelque rendez-vous fantastique - harcelé de plus en plus par les chimères déconcertantes, les compulsions et les pseudo-souvenirs. Je songeais à certains des profils possibles des rangées de pierres telles que mon fils les avait vues en vol, et je m'étonnais qu'elles puissent paraître à la fois si redoutables et si familières. Quelque chose tâtonnait et cognait autour du loquet de ma mémoire, tandis qu'une force inconnue cherchait à maintenir le portail fermé. (p.223)
L'expédition sur les terres australes lui permettent de retrouver le lieu d'exil dans lequel il vécu pendant ses années d'amnésie sous sa forme monstrueuse et conique. La découverte des premières immenses pierres dégagées du sable m'a fortement rappelé le film "2001, Odyssée de l'espace" et la référence au monolithe noir.
M'aventurant un peu plus loin que d'habitude, je rencontrai une grande pierre qui paraissait sensiblement différente de celles que j'avais djà vue. Elle était presque entièrement recouverte mais, me penchant, je retirais le sable avec mes mains puis examinai soigneusement l'objet en ajoutant au clair de lune la lumière de ma torche électrique. (p.218)
Au final, voilà un abîme du temps où je vais encore me perdre longtemps !

Nota Bene
Dans le même genre de livre original, MON livre culte, lu il y a plus de 30 ans, et qui m'a fait une forte impression : c'est Le gouffre de la Lune d'Abraham Merritt. Un livre dans lequel il faudrait que je me replonge aussi, histoire de voir si je suis toujours sous le charme...

17 octobre 2008

Les Montagnes hallucinées - Howard Phillips LOVECRAFT

Une nouvelle fantastique éditée en 1931
titre original : At the Mountains of Madmess
155 pages

Le sujet
Une expédition scientifique de l'université Miskatonic s'aventure sur l'Antartique. Une partie de l'expédition trouve les traces d'une gigantesque et très ancienne cité semblant abandonnée, ainsi que des êtres étranges, inhumains, à la tête en forme d'étoile et dont le corps semble d'une résistance assez robuste. Certains des corps trouvés semblent parfaitement conservés : sont-ils morts ou seulement endormis ? Quelque chose est-il capable de les réveiller ?

Le verbe
Quelque chose dans ce décor me rappela les étranges et troublantes peintures asiatiques de Nicholas Roerich, et les descriptions plus étranges encore et plus inquiétantes du légendaire plateau maléfique de Leng, qui apparaît dans le redoutable Necronomicon d'Abdul Alhazred, l'Arabe fou. (p.13)



Nicholas Roerich
Mon complément
Il y avait bien longtemps que je n'avais pas lu de science-fiction, recommencer ce genre par un livre qui nous transporte sur terre au lieu des confins de l'espace est une autre sorte de voyage intersidéral ! Un peu plus sur l'histoire. Bien évidemment, les créatures ne sont pas toutes mortes, et après avoir entrepris la dissection de celles en mauvais état, tous les hommes sont à leur tour, tués, voir victimes de vivissection !

Alertés par le silence de leur camarades et parvenus sur les lieux du drame, le reste de l'expédition : le professeur Dyer et l'étudiant Danforth, découvrent le sort épouvantable de leurs compagnons. Après une rapide exploration dans ces terribles montagnes, ils repartent vers la civilisation, tâchant de ne rien divulguer de leur découverte, d'autant que Danforth est devenu fou après avoir vu une créature qui semblait les poursuivre (hallucination ?), et dont il refuse de parler. Dyer finit par révéler à la communauté scientifique, et la nouvelle est son témoignage, la vérité sur les monstruosités dont son expédition a été témoin, afin qu'aucune nouvelle expédition ne tente de suivre ses traces.

J'avoue avoir été un peu déçue par cette nouvelle qui offre de trop nombreuses répétitions : nous ne comptons plus le nombre de fois où l'on mentionne les peintures asiatiques de Roerich, le Necronomicon et son auteur fou, les murs décadents, les montagnes maudites, "Les Aventures d'Arthur Gordon Pym", le livre de Poe, etc... Je pense que cette répétition était néanmoins utile à l'époque, lorsque la nouvelle était éditée sous une forme épisodique : les rappels étaient alors sans doute un peu moins évidents, voire utiles.

Attention, je ne nie pas le style de Lovecraft qui trouve d'amusantes tournures :
Ces masses visqueuses étaient certainement ce qu'Abdul Alhazred appelle à mots couverts les "shoggoths" dans son effroyable Necronomicon, bien que même cet arabe fou n'ait jamais évoqué leur existence sur Terre, si ce n'est dans les rêves des mâcheurs de certain alcaloïde végétal. (p.93)
Ce récit est bien, à certains endroits, extraordinaire même, avec la richesse des visions qui nous emportent dans un monde suggéré, un monde fantastique qui, pour une fois, n'est pas au-delà de la terre mais en elle. Nous savons que Howard Phillips Lovecraft pressentait que la technique asservirait l'homme avant de le détruire ; l'écrivain en lui en a profité pour véhiculer dans ce conte macabre (quoique rien ne soit explicitement décrit !) un des pouvoirs les plus puissants de l'humanité : l'imagination.

10 octobre 2008

La ferme africaine - Karen BLIXEN

Un livre édité en 1937
sous le titre "Den Afrikanske Farm"
506 pages

Le sujet
Karen Blixen a vécu 17 ans en Afrique, au Kenya (de 1914 à 1931) ; elle y possédait une ferme et y cultivait le café dans les hauteurs : les Ngong Hills. Ruinée, elle fut obligée de vendre sa propriété et revint au Danemark, où elle écrivit, entre autres, ce récit. Un livre magique !

Le verbe
J’ai maintes fois vu des girafes arpenter la plaine, avec leur grâce incomparable, quasi végétative, comme s’il ne s’agissait pas d’un troupeau d’animaux, mais d’une famille de rares fleurs colossales, tachetées et montées sur de hautes tiges. (p.30)



Vincent/Africantal

Adieu, adieu. Je vous souhaite de mourir en route, mais de mourir toutes les deux, pour que l'une de vos nobles petites têtes qui se découpent maintenant par-dessus le bord de la caisse dans le ciel bleu de Mombassa ne se retrouve pas seule, à regarder de droite à gauche, à Hambourg, où nul ne sait rien de l'Afrique. (p.396)
Mon complément
Ce livre n'est pas un roman (et n'est pas tout à fait semblable au film Out of Africa).

Tout d'abord, ne vous attendez pas à y découvrir ses histoires de "coeur", car nulle mention de son mari ou de Denys Finch-Hatton en tant qu'amant (du coup je me demande : l'a t'il été ?), mais il est tout de même question de ce dernier à partir de la page 200 (sur 506).

Même si j'aurais préféré un récit chronologique que, personnellement, je trouve plus agréable à suivre, Karen Blixen passe en revue chaque souvenir qui lui tient à coeur, sautant d'une époque à une autre. Il en résulte une succession d'histoires indépendantes, reliées entre elles par le fil de sa mémoire. Chaque souvenir se comporte comme une perle que Karen enfile le long d'un collier imaginaire, le bijou de son destin. Considérant que les chapitres sont rassemblés de manière thématique, ceci entraîne le retour de certains souvenirs à plusieurs endroits, sans toutefois être agaçant, cela ressemble au monologue que tiendrait une vieille dame au coin d'un feu.

L'impression d'ensemble est très puissante ; pour tout dire, j'ai eu un grand plaisir à dévorer ce livre, tel un fauve. Ce qui se détache : la passion, l'amour de Karen pour l'Afrique et les Africains, ses chevaux, ses chiens (des lévriers irlandais), la nature, les animaux, les plantes, les fleurs etc...
Avant de quitter l'Afrique, elle a vendu tout ce qu'elle possédait, la vaisselle, les meubles danois qu'elle avait apporté, comme si elle avait voulu repartir de zéro et ne conserver du passé que ses réminiscences.

J'ai regretté que ce livre ne nous fasse rien savoir de sa vie intime : sa vie de femme, on sait qu'elle est mariée puisqu'elle évoque son mari (sans le nommer d'ailleurs) : il reste donc semblable à une ombre insignifiante. Karen, qui arrive en Afrique dans la trentaine, et en repart vers la cinquantaine, semble avoir eu une vie de nonne. Cela me laisse perplexe.

Evidemment, j'aime beaucoup le style de Karen, mélange de sauvagerie et de précision, un chaud froid qui me ressemble.
J’écrivais dans la salle à manger au milieu des multiples feuilles qui jonchaient la table, car il me fallait aussi régler les comptes et les budgets, et répondre aux petites notes désespérées du contremaître. Mes gens me demandaient ce que je faisais, et quand ils apprirent que j’essayais d’écrire un livre, ils virent cela comme une ultime tentative de nous tirer d’affaire, et ils me demandèrent souvent comment j’avançais. Ils entraient et me contemplaient longuement, leurs têtes sombres se fondaient si bien avec les panneaux foncés de la salle à manger que, le soir, j’avais l’impression d’avoir pour seule compagnie de longues robes blanches suspendues au mur. (p.70)
Pour en savoir plus, et comme recommandé dans la préface par le traducteur Alain Gnaedig, il me reste à découvrir ses Lettres d'Afrique. Je vais prospecter pour me le procurer sans délai, car je suis tombée sous le charme de cette femme, de ce que fut sa vie et la ferme africaine ne dévoile pas tout de la dame.

Et voici, un extrait qui va longtemps m'accompagner, puisque je l'ai écrit sur mon carnet d'écriture :

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