Juan José Millás |
Le livre :
Titre original : Laura y Julio
Date de parution : 2006
Traduction française par : André Gabastou
Editions Galaade
parution en français : 2010
210 pages
Le sujet :
Madrid. De nos jours. Julio et Laura forment un couple inachevé qui a trouvé un certain équilibre en compagnie de leur voisin Manuel, un écrivain qui leur paraît à tous deux une sorte de modèle : pour elle, l'amant secret, pour lui, le frère ennemi...
Un jour, le couple apprend que Manuel a eu un accident, il est dans le coma, et leur équilibre va se rompre, comme une digue ébréchée finit par céder.
Le verbe :Un jour, le couple apprend que Manuel a eu un accident, il est dans le coma, et leur équilibre va se rompre, comme une digue ébréchée finit par céder.
Une infirmière un peu éméchée les accompagna jusqu'à la chambre de Manuel en disant que le malade dormait comme un bébé. Laura et Julio échangèrent un regard vide et baissèrent aussitôt les yeux vers le malade, essayant de comprendre par quel mystère leur ami était à la fois présent et absent. Ils l'observaient comme si son corps était une crevasse qui leur montrait le vide qu'il avait laissé dans leur vie.(p 67)
La rencontre avec l'univers mystérieux de Millás est une révélation ! j'ai été conquise par le style de l'auteur que je compare à Paul Auster chez les hommes et à Yoko Ogawa chez les filles. Comme eux, Millás joue avec les formes, les objets, les ombres, les reflets et les personnalités. A chaque mot, on espère une révélation, un voile qui se tire sur le miroir et qui va tout remettre dans l'ordre des choses. Mais il n'y a pas d'ordre, seulement des pulsions, des pulsations.
Julio fait de nouvelles rencontres qui semblent s'emboîter les unes dans les autres mais qui sont aussi comme des éternels recommencements : l'énigmatique Julia et son étrange petite fille qu'il doit garder de temps en temps. Ferait-il un bon père ? Saurait-il s'occuper d'un petit enfant ?
De nombreux thèmes sont abordés. L'amour, l'envie, le désir, la filiation, la responsabilité, les apparences, la manière d'appréhender les évènements en fonction d'un point de vue qui évolue selon son état d'esprit.

Je remercie de tout coeur Romaric des éditions Galaade qui m'a envoyé ce livre, sans lui, je n'aurai certainement jamais connu cet auteur qui mérite de l'être.
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Les personnes comme Manuel et son père, pensa Julio, s'habillent de l'intérieur vers l'extérieur, si bien que chaque jour, quand elles se lèvent, elles enfilent des idées, puis par-dessus les viscères, sur les viscères les muscles, et ainsi de suite jusqu'aux tissus des vêtements. Lui, en revanche, s'habillait de l'extérieur vers l'intérieur. Il mettait d'abord sa combinaison de motard et, dessous, les vêtements informels prévisibles chez un décorateur, puis il y avait l'épiderme, le derme, les côtes..., dans l'espoir que tout ce décor extérieur cède la place à un caractère original, une pensée différente, une façon insolite d'affronter le monde. Y parvenait-il ?Julio et Laura, qui espèrent un enfant, se lient d'amitié avec le voisin qui occupe un appartement contigu au leur en parfaite symétrie. Mais alors qu'eux sont deux, Manuel est seul. Quand Manuel se retrouve dans le coma, Laura ne laisse aucune chance à Julio et lui demande de partir ; dépourvu, Julio s'installe dans l'appartement voisin et devient le spectateur invisible de son ancienne vie. Dans son nouvel univers, il s'efforce de devenir aussi discret qu'un fantôme, il épie les bruits de sa femme en tentant lui-même de n'en produire aucun, il se dépouille de ses anciens vêtements, de son odeur, pour se glisser dans ceux de Manuel, le double impuissant sur son lit d'hopital, Manuel qui lui a volé sa femme.
(p 25)
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Julio fait de nouvelles rencontres qui semblent s'emboîter les unes dans les autres mais qui sont aussi comme des éternels recommencements : l'énigmatique Julia et son étrange petite fille qu'il doit garder de temps en temps. Ferait-il un bon père ? Saurait-il s'occuper d'un petit enfant ?
De nombreux thèmes sont abordés. L'amour, l'envie, le désir, la filiation, la responsabilité, les apparences, la manière d'appréhender les évènements en fonction d'un point de vue qui évolue selon son état d'esprit.
Un jour, il eut avec Manuel une conversation sur l'âme et le corps. Manuel prétendait qu'il s'agissait d'une distinction fantastique, irréelle. Julio lui demanda alors pourquoi il les percevait comme des instances différentes et son voisin lui répondit que l'histoire de l'humanité pouvait se résumer en un combat contre la perception, créatrice inépuisable de mirages.La drogue est évoquée, en filigrane, Julio s'en méfie même s'il consomme un peu.
- Les sens, ajouta-t-il, disent que le soleil se couche, alors qu'il ne se couche ni ne disparaît. A en croire les sens, les objets, en s'éloignant, deviennent plus petits, pourtant ils ont incontestablement la même taille ici ou à cent mètres plus loin. Les sens nous font croire que les corps sont massifs alors que quatre-vingt pour cents d'un atome sont faits de vide, rien d'autre.
(p 174)
-Ta fille, quand elle s'est rendue compte que j'avais fumé, m'a dit que j'étais comme toi, bizarre.Julio se trouve en se cherchant ailleurs, d'abord perdu et éperdu, il se reprend en main en décidant d'influencer sa vie comme il manipule les élements des décors qu'il construit, soudain capable de s'observer. Il devient insensible aux choses qui auparavant lui importaient, comme s'il muait et que son ancienne peau lui était devenue étrangère.
- Ma fille a tendance à dramatiser.
- Mais elle m'a rappelé une expérience pesonnelle. Mes parents fumaient beaucoup et moi, quand je les voyais fumer un joint, je savais qu'ils allaient devenir tout de suite bizarres. Ce qui ne me plaisait pas toujours.
(p 196)
Il passa devant la moto dont il ne restait que la fourche et le réservoir qui ressemblait un peu à un abdomen.Il y a Hopper qui se supperpose au travers de ce roman dans mon esprit, des êtres esseulés, comme incapables de se voir, de se comprendre réellement, qui cohabitent, qui se glissent les uns à côté des autres et qui semblent n'être en mesure que de se toucher grâce à leurs ombres, leur reflet.
(p 178)

Je remercie de tout coeur Romaric des éditions Galaade qui m'a envoyé ce livre, sans lui, je n'aurai certainement jamais connu cet auteur qui mérite de l'être.
Lien en rapport avec ce billet :
- le site de l'auteur (officiel, en espagnol)