C’est l’heure de l’imprévisible où les mots me rejoignent enfin comme attirés de loin, virevoltant autour de moi comme des papillons, des plumes, dépôts des anges bienveillants. Je soupire malgré mon soulagement. Je ferme les yeux pour anéantir le goût des ombres qui pourraient surgir. Juste une seconde.
Une mémoire d’avenue voilée de poussières enrubanne ma gorge nouée. Encore un instant. J’avance doucement sans rien chercher d’autre qu’un reflet inhumain mais qui me rassure. Lune éblouie. Tombée dans le cœur de la nuit à l’envers du lac voisin. Clapotement furtif du miroir indigo. Je pose mon stylo. Il est l’heure du thé. Infusion brûlante de chrysanthèmes blancs germée d’un refrain d’enfant. Je chante doucement. C’était il y a longtemps, c’était l’hiver.
La table est dressée pour tous mes invités, les saugrenus, les farfelus, les impromptus. Tous sont venus à mon invitation enchantée.
Je porte ma jupe de mousseline comme une corolle d’arum. Je joue à la petite fille et ce sentiment me comble comme lorsque je prends une gorgée de caramiel ma douceur secrète. Ils vont certainement m’offrir un cadeau, je ne sais pas encore ce qu’ils cachent derrière leur dos, un lapin blanc, un livre de cuir, des chaussures de verre, tout me fera plaisir car j’adore les surprises. Le thé me tonifie, les scones fondent sous la langue gourmande, j’ai envie de frapper mes mains de joie, mes convives s’évanouissent.
Dehors c’est l’automne qui laisse tomber les feuilles ; les moins résistantes partent en premier dans le grand élan vif, immuable répétition. Les oiseaux perçants viennent remplacer les étoiles à travers les branches sèches. Ils ne tombent pas. C’est le sommeil gardien.VV-26 février 2007