17 février 2008

Les mots - Jean-Paul SARTRE

Editions Gallimard, 1964

Le sujet
Le livre est divisé en deux parties égales "Lire" et "Ecrire". Sartre revient sur son enfance et s'arrête vers la période de ses 11-12 ans, lorsqu'il va pour la première fois en classe, à Henry IV, où il côtoiera certains qui deviendront proches. Il dissèque ses débuts avec l’œil implacable d’un anthropologue qui observe la genèse d’une vocation. Orphelin de père (ce dernier meurt alors qu’il n’a que 2 ans), sa mère et lui vont habiter chez les grands-parents maternel : Charles et Louise Schweitzer. Sartre veut plaire à son grand-père, et en général à tous les adultes qui l’entourent et qui l’adulent. Sa mère est comme une grande sœur (les grands-parents les appellent tous les deux « les enfants » et ils dorment dans la même chambre, dans deux lits jumeaux). Elle est son alliée plus que sa mère. Sans amitié de son âge, Sartre s’invente un monde d’aventures, dans lequel il joue, et ses jeux se poursuivent dans la vie réelle : il s'invente un rôle, celui du bon petit garçon bien obéissant. Il découvre le bonheur des livres, leur odeur, leur bruit, leur promesse. Il fait même semblant de lire dès son plus jeune âge, il s’entraîne à apprivoiser les mots comme s’ils étaient des animaux sauvages ; d’abord indéchiffrables et mystérieux, ils finissent par devenir ses seuls amis. Puis, Sartre entre dans l’écriture comme on entre en religion. Pour s’y trouver.

Le verbe
Ma vérité, mon caractère et mon nom étaient aux mains des adultes ; j'avais appris à me voir par leurs yeux ; j'étais un enfant, ce monstre qu'ils fabriquent avec leurs regrets. Absents, ils laissent derrière eux leurs regards, mêlés à la lumière ; je courais, je sautais à travers ce regard qui me conservait ma nature de petit-fils modèle, qui continuait à m'offrir mes jouets et l'univers. Dans mon joli bocal, dans mon âme, mes pensées tournaient, chacun pouvait suivre leur manège : pas un coin d'ombre. Pourtant, sans mots, sans forme ni consistance, diluée dans cette innocence transparence, une transparente certitude gâchait tout : j'étais un imposteur. (p.70 section "Lire")
…je crus avoir ancré mes rêves dans le monde par les grattements d’un bec d’acier. Je me fis donner un cahier, une bouteille d’encre violette, j’inscrivis sur la couverture : « cahier de romans. » (p.117, section "Ecrire")
Je suis né de l’écriture : avant elle, il n’y avait qu’un jeu de miroirs ; dès mon premier roman, je sus qu’un enfant s’était introduit dans le palais de glace. Ecrivant j’existais, j’échappais aux grandes personnes ; mais je n’existais que pour écrire et si je disais : moi, cela signifiait : moi qui écris. N’importe : je connus la joie ; l’enfant public se donna des rendez-vous privés. (p.126, section "Ecrire")
Mon complément
Après Huis clos et Les mouches, je me suis plongée dans ce récit autobiographique, puissant, presque halluciné et sans concession, où Sartre se dénonce imposteur. Nous y découvrons les racines de ce qui fera toute sa vie. Une lecture que l'on désire partager (mais ce n'est pas facile).

11 février 2008

Cortex (2008)

Réalisateur : Nicolas Boukhrief
Genre : thriller
Année : 2008




Charles Boyer (André Dussolier), un ancien policier est atteint de la maladie d'Alzheimer. Vivant seul, il accepte d'intégrer une clinique. Son fils Thomas (Julien Boisselier) l'y emmène. Tout parait satisfaisant, décor bucolique, infirmiers souriants, cadre agréable.

Toutefois, Charles ne parvient pas à trouver son environnement normal : un patient, puis deux, puis trois disparaissent, que sont-ils devenus ? Que se passe t-il dans le bâtiment C ?

Aucun résident de la clinique n'est capable de l'aider et le personnel médical est suspect. Seule Claire (Anne-Marie Faux), une pensionnaire, possède la clef. Claire est autiste, mais elle dessine et un soir, elle offre à Charles un de ses tableaux, lequel possède la clef de l'énigme, avant d'oublier la résolution du casse-tête, il note quelques mots dans son cahier bleu, son cahier "mémoire" dont il ne se sépare jamais. Le lendemain, il a tout oublié. Oublié également qu'il a lui même déchiré la page qu'il cherche partout et qui est restée sous son oreiller. Il ne se souvient de rien. Mais la mort rode à nouveau, et il est sur le prochain sur sa liste ! Va t'il se souvenir à temps ?

La bande annonce :



Mon avis :
J'aime les films français intimes, la caméra proche des visages. André Dussolier est impressionnant, pour ce rôle il a perdu près d'une vingtaine de kilos ! d'où le côté fragile et perdu du personnage, qui, en plus de perdre sa mémoire, a l'impression de perdre sa tête. Pour entraîner sa mémoire, Charles lit "par coeur" un roman de Sherlock Holmes et s'entraîne à réussir un rubik's cube (perso, je ne suis jamais allée au delà de deux faces unies !).
La fin est, bien entendu, surprenante !


Images provenant du site officiel du film

09 février 2008

Petit traité sur l'immensité du monde - Sylvain TESSON


Le sujet
Il s'agit d'une compilation des pensées et sentiments de l'auteur, géographe de formation, qui trouve dans le monde sa propre réalité. Il parle d'aventures à vélo, motocyclette, cheval, pieds, de cathédrales (qu'il escalade), de la forêt (qui l'attire), de grands espaces, d'écriture, le tout sous forme de petits chapitres, véritables condensés de poésies.

Le verbe
Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni transhumance. Ils ne conduisent pas de troupeaux et n'appartiennent à aucun groupe. Ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en eux-mêmes. On les croise sur les chemins de monde. Ils vont seuls, avec lenteur, sans autre but que celui d'avancer. (p.15)

...il change le sable du sablier en poudre d'escampette. Il brise le cadran de l'horloge et se sert des aiguilles pour piquer sa propre croupe. (p.18)

Tous ces bonheurs que le wanderer rafle dans sa course, il les concentre, le soir, sur la page de son cahier. C'est la promesse de ce rendez-vous vespéral avec une page vierge qui l'incite, le jour durant, à mieux faire provision de ce qui l'entoure. Pour le marcheur au long cours, l'écriture est le plus intense moment d'apaisement. (p.66)
Mon complément
Ce livre était dans ma "pile à lire" (PAL) depuis 2005, et me fut conseillé par Dimitri. Je l'ai pris comme compagnon de voyage cette semaine, une sorte de murmure bienfaisant pour mes neurones fatigués. Sylvain Tesson, que je découvre, est bel et bien un de ces écrivains-voyageurs qui font le bonheur des citadins ou des sédentaires comme moi.

03 février 2008

Le soleil des Scorta - Laurent GAUDÉ

Actes Sud 2004
247 pages

pour MarieL

Le sujet
Italie. 1870. Un homme, Luciano Mascalzone, un vaurien sort de 17 années de prison et se dirige vers Montepuccio, le village cause de son malheur. Une femme le hante et il veut la rejoindre et la posséder, quoiqu'il lui en coûte. Il se présente devant sa maison, une femme ouvre la porte, sans un mot. Ils s'aiment dans une sorte d'inéluctable rencontre. Il ne sait pas encore que celle qui fait de lui un homme n'est pas celle qui l'obsède, mais sa soeur cadette. Quelques heures plus tard, il meurt, lapidé par le village, laissant derrière lui un être qui sera le premier fruit de la lignée des Scorta.

Le verbe
Lorsque je serai morte ou lorsque je ne serai plus qu’un vieille poupée qui ne sait plus parler, vous lui direz à ma place. Anna. Je ne connaîtrai pas la femme qu’elle sera mais je voudrais qu’il reste en elle un peu de moi. (p.214)
Mon complément
Sans la bibliothécaire qui m'a affirmé "vous verrez, c'est très bien écrit", je n'aurai à priori jamais lu ce livre. D'une part, l'auteur m'est totalement inconnu, de l'autre, je me méfie des romans ayant reçu un prix, car je me demande toujours si cela ne cache pas un arrangement entre éditeurs et professionnels critiques.

Complément de l'histoire
L'enfant, Rocco, devient riche, truandant par ci par là. Il fait trois enfants à la Muette, une fille Carmela, et deux garçons Domenico et Guiseppe. Juste avant sa mort, il donne sa fortune à l'église, les siens sont ruinés. Les trois enfants partent pour l'Amérique. Le drame est que, malade, Carmela est interdite de séjour et doit repartir. Refusant de se séparer, les trois frères et soeur quittent Ellis Island pour l'Europe et retournent vers leur destin de pauvres. Mais ils s'en sortent. Grâce au bureau de tabac pour lequel ils brûlent leur vie en vendant "ces petits bouts de papier que d'autres transforment en fumée". Et chacun fonde une famille. Carmela a deux fils Donato, le pêcheur, et Elia, qui lui donnera sa petite-fille, Anna. De Luciano à Anna, c'est 5 générations qui se dessinent avec délicatesse, avec amour, émotion, pudeur, sous le soleil d'Italie, imperturbable, faisant couler la sueur, faisant bouillir le sang des hommes qui luttent pour survivre, simplement, car tels les olives, les Scorta sont les enfants éternels du soleil. Le récit est ponctué des confidences que Carmela, qui, se voyant perdre la mémoire, se hâte de confier ses secrets à l'ancien curé du village, qu'elle de tout raconter à Anna quand elle aura l'âge. Défilent avec la voix de Carmela ses souvenirs d'enfant, puis d'adulte. La main de son père sur ses cheveux comme une ombre funeste. Ses deux frères aimés, puis le troisième frère, Raffaele, l'ami de toujours, adopté par ses frères et soeur à l'instant où il accepta de déterrer la Muette, leur mère, pour l'enlever de la fosse commune et la placer dans une terre vierge et neuve. De ce jour, Raffaele comprit qu'il n'avait pas le droit d'avouer son amour à Carmela. Il le fera plusieurs dizaines d'années après, à la mort de l'époux de celle-ci.


Ce roman est un bijou. Tout y est admirable : le style, la forme, les sentiments qu'il véhicule. Il y court la vie, et plus encore, il y court l'envie de la vie. Un livre que je ne pense pas oublier de sitôt.