29 décembre 2008

Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles - Gyles BRANDRETH

Un livre édité en 2007 sous le titre "Oscar Wilde and the Candlelight Murders"
paru en français aux éditions 10 - 18 Grands détectives

Le sujet
Londres, 1889. Robert Sherard, le narrateur, poète et ami d'Oscar Wilde l'assiste dans une affaire délicate : son mentor a découvert Billy Wood, un jeune homme de 16 ans, égorgé selon ce qui semble être un rituel sacrificiel : son corps nu est retrouvé entouré de chandelles. Sur le coup de l'émotion Wilde s'enfuit, mais le lendemain, lorsqu'il retourne dans la chambre, le corps a disparu et nulle trace de sang. Sans corps, la police ne semble pas vouloir mener d'enquête, Oscar Wilde décide donc de découvrir lui-même l'assassin du jeune Billy.

Le verbe
C’est Dickens qui a mis Broadstairs sur la carte. C’est là qu’il a écrit David Copperfield, dans une villa sur les falaises qui, naturellement, porte aujourd’hui le nom glorieux de Maison d’Âpre-Vent. Si le cœur vous en dit, vous pourrez vous y rendre. La visite guidée coûte deux pence. Et au moment où vous arriverez à la pièce où travaillait le grand homme, on vous récitera cette phrase légendaire : « Laisser un mot pour Mr.Dickens dans le premier tiroir de son bureau et il viendra le lire cette nuit. » (p.97)
Mon complément
Un livre cadeau reçu de la part de Sylvie dans le cadre du Victorian Christmas swap.
Nous devons être les amis de ceux qui n’en ont pas (p.58)
Par cette phrase, Oscar Wilde annonce son intention : puisque la police, et plus particulièrement l'inspecteur Aidan Fraser que lui a chaudement recommandé son ami Arthur Doyle, ne peut pas, ou ne veut pas enquêter sur la mort et la disparition du pauvre Billy Wood, un jeune garçon de ses amis, un élève auquel il apprenait la lecture et le théâtre, il va mener son enquête, et parvenir à retrouver le(s) coupable(s).

Autour de lui :
- Robert Sherard (qui sera notre narrateur sour la plume de Brandreth)
- le docteur Arthur Conan Doyle (un ami de Wilde aux conseils avisés et aussi l'auteur des aventures de Sherlock Holmes dont il est question dans ce roman)
ainsi que des personnages un peu plus romancés :
- Veronica Sutherland (la fiancée de Fraser, une femme affolante qui tourne la tête de Sherard),
- la mère du jeune Billy,
- son oncle : une brute avinée, de jeunes espions londoniens qui ont des airs de David Coperfield
- les romans sont aussi des personnages : Oscar Wilde est en train d'écrire le "Portrait de Dorian Gray", ce qui suscite une remarque au sujet de Millais, que l'on croise aussi et du portrait de Sophie Gray.

Je découvre Wilde. Enfin, pas tout à fait, c'est mieux : c'est Oscar Wilde dans une pseudo réalité, je vous assure qu'on l'on pourrait se croire dans les rues de Londres, à prendre le cab et à boire du Champagne. Nous entrons à pas feutrés à l'Albemarle, le Club d'Oscar Wilde :
Albemarle Street, London
De l'enquête, je ne veut rien dévoiler ; personnellement, je pense que l'intérêt du roman est plus dans la découverte du monde victorien que celui d'une énigme policière à laquelle il est difficile de croire vu les invraisemblances. Peut-on imaginer un Oscar Wilde s'enfuir d'une scène de crime et n'y revenir que le lendemain en trouvant la force de vivre normalement entre temps ?

Pour le reste, tout y est : les auteurs, les acteurs, les endroits, la mode, la condition de la femme, tout est brossé avec élégance et finesse.
- C'est la vérité, rétorqua vivement Miss Sutherland. Vous, Aidan, et le Dr Doyle, ainsi que Mr. Wilde et Mr. Sherard, avez tous bénéficié d'une éducation universitaire. Pourquoi ? Parce que vous êtes des hommes. On me la refuse. Pourquoi ? Parce que je suis une femme. C'est consternant. Révoltant même ! Et cela ne suscite chez vous pas la moindre réaction, excepté des rires ! Les seules femmes autorisées à pénétrer à l'intérieur de nos sacro-saintes et vénérables universités, ce sont les femmes de ménage et les maîtresses. C'est scandaleux, Aidan, et vous le savez bien. (p.152)
Il est, bien entendu, question d'homosexualité, celle d'Oscar Wilde en filigrane, quand l'auteur y fait allusion, mais dans le récit qui nous occupe, Wilde n'est pas encore de ce bord, quelques personnages, franchement présentés comme homosexuels, dont le pauvre Billy.
La saynète que jouait nos amis n'était que le fruit de leur imagination, peut-être l'histoire d'un prêtre et de son disciple. Le hiérophante prépare le jeune myste en lui rasant le corps avant de l'oindre d'huile sacrée. Le rasoir participe à l'acte de purification... Et la purification précède à la consommation.
- C'est barbare !
- Barbare ? Pas du tout. C'est très anglais. Ou devrais-je dire Britannique ?
Je dois avouer que Brandreth fait preuve du légendaire humour britannique lui aussi.

Quelques tableaux dont il est question :
Dante dessinant un ange
à l’anniversaire de la mort de Beatrice
-Rosseti-
Sophie Gray (qui ressemble à Veronica Sutherland)
-Millais-

Une belle lecture, un véritable condensé de "victorian" attitude !

Le rapport Gabriel - Jean d'ORMESSON

Un livre édité en 1999 aux éditions Gallimard
426 pages

Le sujet
Dieu est en pétard contre les hommes. Il décide d’en finir avec ses créatures et pour cela d’arrêter le temps. Gabriel s’y oppose. Dieu l’envoie auprès des hommes et des merveilles de la Terre, et lui demande de revenir avec un rapport qui pourrait le convaincre de ne pas les anéantir. Gabriel atterrit auprès du narrateur, Jean d’Ormesson lui-même, censé lui démontrer que l’humanité vaut la peine d’être sauvée.

Le verbe
J’ai cessé d’espérer. L’orgueil, le plaisir, le mal ont pour eux des charmes que je ne peux plus combattre. Je n’ai aucune intention de les abandonner à un mal que je n’ai pas vaincu pour rien. Je me propose d’arrêter le temps et de détruire le monde pour supprimer du même coup et les hommes et le mal. (p.31)

Les hommes sont aussi passagers que l’histoire, que leurs croyances successives, que leurs sociétés, que leurs empires, que leurs maisons et leurs vêtements : ils sont un miracle qui ne durera pas, une merveille évanescente. Ils brillent quelques millions d’années, et puis ils disparaissent. Ils étaient des agnathes, des reptiles, des primates. Ils seront des machines et des robots. Ils étaient des monstres : ils seront des monstres. (p.43)
Mon complément
Impression mitigée. Jean d'Ormesson est un homme que j'admire beaucoup, j'adore le voir à la télé : j'aime l'entendre et je l'écoute avec déférence, pour autant, je trouve que ces livres manquent un peu de suspens. Jean D’Ormesson a certes une belle écriture, je veux dire que ce qu’il écrit est recherché, sobre, percutant, mais que l’histoire en elle-même est lassante. Peut-être parce qu’elle est un peu trop centré sur l’auteur lui-même, que ce livre est une occasion de plus d’être une sorte de biographie de l’auteur (mais pas du tout un roman comme il est annoncé sur la couverture). C'est un patchwork cousu de fil blanc (les anges !) : des bribes d’instants passés côtoient le présent, on a vraiment l’impression de plonger la tête dans une bassine remplie de pensines comme dans le bureau d'Albus Dumbledore, mais sans surprise.

Dieu ordonne donc à son archange d'aller voir de plus près (en voilà une belle fiction !) :
Va, une nouvelle fois, à la rencontre des hommes. Observe ce qu’ils font. Et puis reviens me voir, ton rapport sous le bras. (p.50)
J'ai trouvé pénible, pour ne pas dire agaçant le chapelet d’adjectifs tels que "précieux", "délicieux", "merveilleux", ce qui donne l'impression qu'avec d'Ormesson tout le monde, même les personnages les plus vils, ont l'air d'enfants de coeur, ou sont en train de commander leur thé de Cinq heures, comme il se doit. Je n'ai pas aimé les passages non traduits, en latin et autres, ce qui gâche vraiment la lecture.

J'ai bien aimé ce passage où Jean d’Ormesson se souvient du chauffeur de son père, disparu pendant la guerre, peut-être dans une abomination.
Qu’est-il devenu après nous dans les tourmentes de l’histoire ? Tombé dans les neiges de Russie ? Enterré dans les sables de Tobrouk ou de Marsa-Matrouh ? Poignardé peut-être par un français dans le métro de Paris ? Ecrasé sous les bombes à Hambourg ou à Dresde en 1944 ou en 1945 ? Pris dans les décombres de Berlin à la chute de ce IIIè Reich qui devait durer mille ans ? Décapité à la hache par les bourreaux de Hitler comme le jeune Conrad von Hohenfels dans le roman de Fred Uhlman, "L’Ami retrouvé" ? Que cette page soit pour lui comme quelques fleurs sur sa tombe. (p.69)
Il est aussi question du "machin", on ne sait pas trop ce que c’est : l’Unesco ? Ce n’est pas très clair, un romancier se doit d'être compréhensible.

Et comme d'Ormesson est une véritable encyclopédie, on parcourt les continents, sauf l'Afrique si je ne m'abuse. On navigue vers Venise, on aperçoit des tableaux de maîtres, comme celui-ci :
Présentation de Marie au Temple
-Le Titien, 1534-
Une belle lecture mais pas un roman à proprement parler, plutôt un condensé de souvenirs.

28 décembre 2008

L'horloge magique (1928)

Réalisateur : Ladislas Starewitch
Genre : film muet et objets animés
Année : 1928



Quelle est l'histoire ?

Sous les yeux de Nina sa fille, un horloger fabrique une mystérieuse horloge habitée d'un royaume médiéval : un roi, son fou, une princesse, douze chevaliers et même un dragon qui avale tout se qui se présente.

Le chevalier Bertrand l'affronte, la princesse est fort aise et lui lance une fleur depuis son balcon pour récompense. Mais le chevalier Noir surgit de nulle part et ramasse la rose : la princesse s'évanouit. Les douze chevaliers doivent reprendre la fleur et affrontent l'un après l'autre le chevalier Noir, tous succombent. Le tour de Bertrand arrive, le chevalier Noir (la Mort) est sur le point d'anéantir Bertrand mais Nina stoppe les aiguilles de l'horloge magique. Quelle folie ! Tout s'arrête, les rouages se déglinguent dans l'horloge.

La nuit tombe, Nina rêve : elle pénètre dans un royaume inconnu et poursuit l'histoire. Et retrouve le chevalier Bertrand...


Mon avis :
Un pur enchantement ! J'ai reçu ce livre-dvd de la part de ma chère Céline à qui je dois beaucoup de belles découvertes dans le monde onirique. Un film que je partage avec mon fils (5 ans) qui ne se lasse pas, et moi avec, de le regarder, encore et encore. Dans ce film, trois mondes se succèdent au travers de Nina la rêveuse : l'atelier de son père (la réalité), la cité médiévale qui se cache dans l'horloge (l'imagination) et la forêt des rêves lorsque Nina dort. Trois mondes qui s'enchaînent au fil du temps.

A noter :
La voix de Rufus qui acccompagne le récit de ce film muet

et la chanson à la fin du dvd, superbe de poésie, interprétée par Galaïs (paroles de Jean Rubak et Dominique Pernoo, musique de Jean-Marie Sénia).


Images du film fabriquées par mes soins dans le but d'illustrer ce billet.

Phenomenes (2008)


Réalisateur : M. Night Shyamalan
Genre : épouvante fantastique
Année : 2008




Je trouve que des scènes peuvent choquer les spectateurs les plus sensibles.


Quelle est l'histoire ?
De nos jours. New York. Les humains sont soudainement poussés au suicide. Très vite, un scientifique explique que la Terre se révolte (rien que cela !) et décide d'éliminer les parasites que sont les hommes. La toxine qui oblige les humains à se suicider est libérée par les végétaux et se propage par le vent. La propagation est concentrée sur l'est des Etats-unis et va durer moins d'une journée. A la fin du film, un scientifique explique que la supposition selon laquelle la Terre donne un avertissement avant une forme plus grande de catastrophe ne pourra être confirmée que si le phénomène se reproduit à un autre endroit du globe. Dernière scène : Paris, les Tuileries, et voilà que les mêmes scènes de suicide recommencent...

Mon avis
Quelle déception ! Franchement, ce film est nullissime (pardon mais ce n'est que mon avis de spectatrice n'est-ce pas ? ). Les acteurs sont mauvais, à part la vieille folle dans sa campagne qui joue admirablement la possédée. Les scènes sont baclées, ainsi justement la vieille folle, on se demande pourquoi elle garde une poupée sur le lit, la psychologie des personnages est complètement survolée, vous me direz que tout le monde meure, ou presque, alors pourquoi se fouler ?
Non, si vous désirez voir un bon film de Shyamalan, louez ou achetez Le village !!!

13 décembre 2008

Jeunesse - Joseph CONRAD

Une nouvelle de 74 pages
publiée en 1898 sous le titre "Youth"

Le sujet
Un bar, une bouteille de Bordeaux, des amis attablés, et l'un d'entre eux, Marlow, un marin d'une quarantaine d'années se souvient : il avait à peine vingt ans et à Londres, il embarquait sur le Judée, en direction de l'Orient. Bangkok. La grande aventure. Mais le bateau subit de nombreuses avaries, et il lui faudra toutes les ressources de la jeunesse pour affronter les éléments.

Le verbe
Bon Dieu ! C'est une sacrée aventure,- comme on en voit dans les livres ; et c'est ma première traversée comme lieutenant - et je n'ai que vingt ans - et voilà que je tiens le coup aussi bien que n'importe lequel de ces hommes, et mes gars sont à la hauteur de leur tâche grâce à moi. J'étais content. Je n'aurais renoncé à cette expérience pour rien au monde. Je connaissais des instants d'exultation. Chaque fois que le vieux rafiot démantibulé se plantait dans un creux, avec sa voûte d'arcasse dressée en l'air, il me semblait qu'il lançait comme un appel, comme un défi, comme un cri, aux nuages impitoyables, les mots écrits sur sa poupe : "Judée", Londres. Vaincre ou périr. (p.32)

Mon complément
Un livre cadeau reçu de la part de Sylvie dans le cadre du Victorian Christmas swap. Je découvre Conrad. J'adore cette histoire de jeunesse où il met en scène Marlow, une sorte de double. Cela me fait songer à Auster. Dans la préface, il semble que Marlow est un personnage récurrent, je ne sais. Je vais me renseigner, mais je sais aussi que trouver un renseignement adéquat sur internet demande beaucoup de recherche. Je ne suis pas pressée. Je vais en quelque sorte partir à la chasse au trésor. Imaginez, je n'ai jamais entendu parler de cet auteur avant ce swap !

Le jeune Marlow est incroyablement opiniâtre et confiant en sa propre nature. Il a hâte de démontrer ses capacités de marin, et l'occasion lui est donnée lorsque le feu se déclare dans la soute du Judée. Les nombreuses avaries, les nombreux retours en Angleterre pour les réparations à entreprendre, rien ne va émousser l'aiguisement de son appétit à l'aventure. De nombreuses descriptions du bateau : les habitués du salon nautique se sentiront dans leur élément, les autres comme moi imagineront grâce aux notes de bas de page fort utiles.

Jeunesse est une odyssée à juste titre ; ce voyage qu'entreprend Marlow fait plus que "former la jeunesse", il en use, s'en nourrit, sans elle, point d'audace, point d'ardeur, d'oubli de la fatigue, point de confiance. Un livre à mettre en toutes les mains. Je vais d'ailleurs le relire avec ma fille (10 ans). Nous y mettrons nous aussi tout notre empressement !

Nota bene : j'ai bien aimé le "passe moi la bouteille" à plusieurs endroits du livre : j'étais tellement emportée dans le récit que j'en oubliais que cela en est un ; le "passe moi la bouteille" ramène au présent de Marlow, et donne une note comique à la scène, nous savons que le héros n'est pas mort dans cette aventure puisqu'il la raconte, pour un peu, j'entendrais sa voix, rauque mais passionnée. Le plus incroyable voyez-vous c'est que, Marlow au fond, ne peut pas mourir.

12 décembre 2008

L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde - Robert Louis STEVENSON

Un livre édité en 1886 sous le titre "The strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde"
Mon édition est un livre Librio (texte intégral)

Le sujet
Mr Utterson, notaire de son état, découvre que son ami le Dr Jekyll a rédigé son testament en faveur du mystérieux Mr Hyde, un épouvantable personnage, malveillant et violent. Il décide de mettre en garde son ami, ignorant tout des expériences menées par celui-ci, avant de découvrir son secret à la lecture de lettres laissées par des témoins épouvantés, et impuissants à lutter contre les forces du mal.

Le verbe
Il n'existait pas de miroir, à l'époque, dans ma chambre ; celui qui se trouve à côté de moi, tandis que j'écris ceci, y fut installé beaucoup plus tard et en vue même de ces métamorphoses. La nuit, cependant, était fort avancée...le matin, en dépit de sa noirceur, allait donner bientôt naissance au jour...les habitants de ma demeure étaient ensevelis dans le plus profond sommeil, et je résolus, tout gonflé d'espoir et de triomphe, de m'aventurer sous ma nouvelle forme à parcourir la distance qui me séparait de ma chambre à coucher. Je traversai la cour, où du haut du ciel les constellations me regardaient sans doute avec étonnement, moi la première créature de ce genre que leur eût encore montrer leur vigilance éternelle ; je me glissai au long des corridors, étranger dans ma propre demeure ; et, arrivé dans ma chambre, je me vis pour la première fois en présence d'Edward Hyde. (p.76)
Mon complément
Un livre cadeau reçu de la part de Sylvie dans le cadre du Victoria Christmas Swap. Une histoire qui se lit d'une traite ! Impossible de faire autrement. Ou du moins, nous accepterons une petite pause. Le temps de verser une tasse de thé. Ne pas oublier de vérifier que les rideaux soient bien tirés pour éviter les ombres infiltrées. Je connaissais les personnages sans bien savoir quelle était la véritable histoire originelle. Nous sommes si souvent trompés par des impressions ou des souvenirs flous. Me voici donc à découvrir le cas du Dr Jekyll, attiré par son côté obscur, au point d'inventer une formule qui précipitera son déclin ; car peu à peu, ce n'est plus le Dr Jekyll qui prend sa potion pour devenir un temps cet odieux Mr Hyde, mais c'est Mr Hyde qui finit par avoir le dernier mot. La bête libérée ne réintégrera plus son carcan !

10 décembre 2008

Les vies d'Emily Pearl - Cécile LADJALI

Un livre édité en 2008 aux éditions Actes Sud

Le sujet
Angleterre, 1898. Emily Pearl entre au service de Lord Auskin en devenant la gouvernante de Terence, un garçon de 7 ans dont la mère est morte à sa naissance. De nature rêveuse et insatisfaite, elle rédige un journal dans lequel elle dépose ses frustrations, ses correspondances, ses souvenirs, comme un flux monocorde, sans ponctuation, mais avec de fausses accusations...

Le verbe
On saisit alors les fleurs, on pince les pétales entre nos ongles et, quand on obtient un nombre suffisant de confettis, on les lance par poignées dans l'air froid. Ils retombent comme une neige douce. Comme la pluie d'un mariage. On ne dira rien à papa, hein ? On ne dira rien à ton père. Allez, on file ! On a une promenade à cheval à faire, si je me souviens bien. Terence membrasse. Nous ne regardons pas en arrière. La tombe sans fleurs nous remercie peut-être déjà de ne pas avoir cru à sa réalité. (p.81)

Mon complément:
Nul n'a omis de remarquer le style victorien de cette histoire, tragique histoire (je cite de mémoire Malice et Lou, mais j'en oublie - il faudrait que quelqu'un se dévoue pour réaliser une page qui présenterait tous les billets de lecture sous les titres des livres appréciés...!).
Les prénoms des personnages féminins : Emily (Brönte ?) , Virginia (Wolf ?), y donne une touche très époque victorienne... Que de clins d'oeil en effet.
Emily se raccroche à sa soeur, véritable bouée de sauvetage dans la mare d'ennui dans laquelle elle patauge.
Mon ennui est d'un seul bloc, comme une pierre que l'on jette au fond d'un puits.
Seul Terence semble important, car faible : il a besoin d'elle. Au début, elle se méfie d'Alec Auskin, le père, qui lui semble intouchable, question de rang. Puis ils deviennent amants, un rapport très trouble les lie, une sorte de perversion de l'interdit. Mais Emily ne peut se satisfaire. Elle pense rejoindre sa soeur, émigrée en Amérique. Mais elle se marie avec un garçon qui l'indispose. Le mariage a lieu le même jour que le remariage de Lord Auskin avec Anne. Anne n'aime pas les hommes et passe son temps à folâtrer avec ses maîtresses. C'est le côté comique du livre, car il y en a.

A travers le journal, on découvre Virginia, la rebelle, partie à Londres gagner son indépendance en travaillant à l'usine. Virginia tombe amoureuse d'un pasteur, ils émigrent en Amérique. Ils s'installent à Salem où ils déclenchent l'hostilité des autochtones et réveillent les esprits des sorcières.

Partout l'eau est présente : mare, pluie, neige, océan, orage, la plage, la pêche, la baignoire... Une sorte de symbole purificateur, un désir de baptème, de renouveau.
Souvent je pense aux vagues. Je les associe à ma soeur. C'est à cause de leur façon de caresser la plage, avec leur grands bras qui se replient et laissent sur le sable un film brillant. (p.139)
Emily raconte dans son journal des petites anecdotes de la maisonnée, parfois fausses. Elle découvre qu'en médisant, en laissant traîner son journal à la lecture d'Alec, elle va déclencher des réglements de comptes, condamner des innocents à être mis à la porte. Son comportement ira même jusqu'à occasionner la mort. Drôle de puissance pour une frêle jeune femme qui se dit victime. Une victime qui se défend avec des mots, des armes invisibles mais pas moins efficaces.
Puis Emily se réveille.
Je reviendrai à mon cahier. A tout ce qu'il y a de faux et de vrai écrit à l'intérieur. Je n'y écrirai plus que mon bonheur, ma joie d'être là et d'être juste. Je renoncerai à voyager. Je renoncerai à suivre les plumes, les trains, les bateaux. Virginia comprendra. Ma vie de femme et de mère est ici. Je l'ai admis. Je ne suis plus la même. J'ai changé. Je suis celle que je veux être. Enfin. (p.181)
Un an passe. Terence dépérit. Il souffre même. Emily décide d'abgéger ses souffrances. Râté. Elle provoque l'indignation de son amant qui la chasse. Ce sera le signal de départ pour Ellis Island, Virginia l'y attend.

Un livre désiré (cette formule n'est-elle pas un gage en soi ?) après la lecture du billet de Holly qui pourtant ne racontait pas l'histoire (mais quand Holly estime un livre, c'est qu'il a quelque chose de plus).

Un livre dévoré en quelques heures, je suis parfois exigeante avec les dénouements ! Néanmoins l'histoire me laisse sur ma faim. Je m'explique. Un style magnifique, certains paragraphes sont "trop beaux" comme disent les jeunes aujourd'hui. A en pâlir d'envie. Avec un talent pareil, j'aurai fait une héroïne admirable, or je trouve qu'elle "craint".
D'elle, on ne sait rien de réel au fond. Même le journal ne reflète -peut-être pas- la réalité.
Emily reste à la surface, elle y flotte, comme si elle avait peur d'être elle-même. Elle ne se voit qu'au travers de sa soeur, qui semble si insouciante. Ah ! quelle contrariété ai-je eu quand les soeurs se manquent de quelques jours autour de la tombe de leur parents !

Mais je dis que je reste sur ma faim, c'est que j'aime les histoires qui finissent bien. Je vais finir par croire que j'ai un fond romantique !
Tant qu'à faire, je vous livre ma version. Rien n'empêche qu'Emily soit parmi les survivants, non rien ne l'empêche...

04 décembre 2008

Le retour du professeur de danse - Henning MANKELL

Un livre édité en 2000 dans sa version originale (suédois) sous le titre "Danslärarens återkomst"
Edité en France aux éditions du seuil en 2006
540 pages

Le sujet
Suède. De nos jours. Herbert Molin, 76 ans, retraité, passe son temps à faire des puzzles et vit seul dans sa maison au bord des bois quand surgit un inconnu qui le fouette au sang et à mort avant de l'entraîner dans une danse macabre qui laisse des traces de pas sanglantes dans son salon. Ce dernier tango n'est-il pas esquissé par l'une des nombreuses ombres que le supplicié a craint toute sa vie ? Un ancien de ses collègues, Stefan Lindman, en attente de commencer son traitement contre le cancer, enquête pour comprendre qui était Herbert Molin. Il finira par découvrir sa véritable identité avant et durant la guerre, le mobile du crime mais aussi un secret sur sa propre famille qu'il eût préféré ignorer.

Le verbe
- J'ai un cancer.
- Mortel ?
Le vieil homme avait dit cela avec une bonne humeur inattendue. Comme s'il était malgré tout capable de se réjouir que la mort ne soit pas réservée aux vieillards qui consacraient leurs derniers instants sur terre à écouter Bach.
- J'espère bien que non.
- Bien entendu. Seulement voilà, la mort est l'ombre dont nous ne pouvons pas nous débarrasser. Un jour, cette ombre se transforme en une bête féroce.
- J'espère guérir.
- Dans le cas contraire, je vous recommande Bach. Seul remède valable en dernier ressort. Il offre la consolation, ainsi qu'une petite protection contre la douleur, et une certaine mesure de courage. (p.317)
Mon complément
En préambule : un petit rattrapage pour les sous doués comme moi en géographie : une carte de la Suède pour mieux visualiser les distances parcourues dans ce roman : Stefan Lindman vient de Borås (au sud) et il va enquêter à Kalmar et Östersund.

Et aussi une précision : les suédois se tutoient, ce qui peut surprendre en lisant ce livre, des inconnus se tutoient (sauf vis à vis de personnes très âgées). Voilà un moment que je louchais sur ce livre, ce qui m'a retenu, c'est que j'imaginais le récit trop "versé dans le sang", trop gore si vous préférez, et franchement, le gore, ce n'est pas ma tasse de thé. Et bien non, vous pouvez y aller. Oh ! je ne dis pas que lors du passage où le vieux monsieur est fouetté sans savoir ce qui lui arrive est assez "dur", mais à part cela, ce livre est absolument passionnant.

Tout d'abord, les personnages. Henning Mankell a su en restituer avec finesse les sentiments. Herbert Molin, que l'on accompagne au début, semble si doux : il aime se faire son café, il danse avec sa poupée, et il a peur des ombres qui ne le laissent jamais dormir. On se doute bien qu'il n'a pas la conscience tranquille, sans savoir ce qui lui vaut cette angoisse.
Il avait gardé le souvenir du garçon, je crois même qu'il rêvait de lui dans ses cauchemars. J'ai bien l'impression que le petit a fini par retrouver sa trace.
Stefan Lindman vient d'apprendre qu'il a un cancer. Cette petite boule sur la langue est porteuse de la poisse et devient son compte à rebours. Il se raccroche alors à ce mystère qu'est la mort de son ancien collègue, il n'a rien d'autre de mieux à faire et il se sent utile. Il fait une sorte de tamdem avec le policier chargé de l'enquête : Guiseppe Larsson.
J'ai la mort dans le corps. Je devrais la prendre au sérieux, mais je n'y arrive pas. La mort est impossible à saisir, du moins la mienne.
Stefan Lindman farfouille, fouille, n'hésite pas à prendre des risques, s'introduit dans des maisons, des appartements, des chambres, certes vides, mais risquant à chaque instant d'être surpris. Il accomplit sa quête, comme s'il n'en avait rien à faire de se faire prendre, aveuglé par son angoisse de la mort. Il s'épuise sur les routes, mangeant mal, dormant (ou ne dormant pas) dans des chambres d'hôtels sans charme mais qui l'éloignent de ses repères habituels, de sa maison, de son heure de rendez-vous avec son traitement.

J'ai été littéralement happée dans cette histoire qu'on ne lâche pas, au risque de la perdre. Et puis, cela change des romans qui se situent en France, en Amérique ou en Angleterre. Le dernier jour de lecture, je me suis même réveillée à 3 heures du matin, impossible de me rendormir. Je me suis levée, j'ai fait couler le café, je me suis installée au milieu des coussins enroulée dans les couvertures, j'étais vraiment heureuse de retrouver mon livre, même si le propos de ce livre n'est pas glorieux puisqu'il s'agit du nazisme, celui d'hier, celui d'aujourd'hui.

Durant sa quête, Stefan découvre l'existence de groupuscules haineux, à l'échelle planétaire. Des communautés qui ne pratiquent pas forcément d'actes de barbarie, mais qui sont persuadées que leur salut viendra en exterminant les "envahisseurs". Rien de moins. Des groupuscules dont les adhérents sont des gens comme tout le monde.
Chaque nuit, je savais que quelqu'un allait mourir, mais qui ? Le voisin ? Ou moi ? Je me souviens qu'à mon idée, c'était le Mal en personne qui se déchaînait. Ce n'étaient pas des avions, là-haut dans le noir, mais des diables aux pieds griffus qui lâchaient des bombes sur nous. Plus tard, longtemps après, alors que j'étais déjà dans la police, j'ai compris qu'il n'y avait pas de gens mauvais - mauvais dans leur âme, si vous voyez ce que je veux dire. Mais que certaines circonstances pouvaient faire surgir la cruauté.
Je me demande quand même pourquoi le livre se termine ainsi, personnellement, je n'aurai pas écrit la lettre à Guiseppe.