[JOURNAL] La mare aux rocailles


Il faisait très chaud cette année-là, et mes amies et moi jouions au bord du petit bassin naturel derrière la maison des Georgeon avant de décider d'y entrer. L'eau était limpide : on pouvait apercevoir les poissons qui tournaient en rond au fond dans les rocailles, nous avions de l'eau jusqu'à la taille et nous marchions avec précaution pour ne pas s'écorcher les pieds sur les arrêtes des cailloux. Nous riions aux éclats comme le font les enfants soumis à la joie, nos corps ne flottaient pas encore car nous entrions dans l'eau adagio, l'eau était froide et c'est notre bravoure qui nous donnait la force de rester sur la pointe des pieds. Puis nous nous lançâmes dans le bassin comme des grenouilles, avec des petits cris de surprise et d'euphorie, l'eau nous recouvrait jusqu'au cou. Le long de mes jambes, je sentais l'onde des poissons me frôler et je hurlais imaginant qu'un monstre m'enroulait comme un pilotis. Mes amies étaient comme moi, téméraires et tétanisées. Nous plongeâmes enfin la tête pour tenter de voir au dessus des rocailles la vie fugitive de ceux qui vivent là. Nos jambes battaient les pieds et un observateur à quelques mètres de nous aurait entendu autant de rires que de cris mais il n'aurait pas été surpris car tous les enfants sont du même avis : c'est ainsi que l'on s'amuse en plein après-midi d'été à la campagne. Le froid de la mare nous a vite rafraichies et nous sommes ressorties, les lèvres bleutées et la peau des pieds griffée, avant de nous sécher sur l'herbe toutes habillées.


illustration : Henri Martin "le bassin"

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